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Suivons le progrès de l’opération libératrice. — Aux prises avec l’institut ecclésiastique, l’Assemblée constituante, toujours timide, n’a su prendre que des demi-mesures ; elle a entamé l’écorce, elle n’a osé porter la hache jusque dans l’épaisseur du tronc. Confiscation des biens du clergé, dissolution des ordres religieux, répression de l’autorité du pape, à cela se réduit son œuvre ; elle a voulu établir une église nouvelle et transformer les prêtres en fonctionnaires assermentés de l’état, rien de plus. — Comme si le catholicisme, même administratif, cessait d’être le catholicisme ! Comme si l’arbre malfaisant, une fois marqué au sceau public, devait perdre sa malfaisance ! On n’a pas détruit la vieille officine de mensonges, on en a patenté une autre à côté d’elle, en sorte qu’au lieu d’une on en a deux. Avec ou sans l’étiquette officielle, elle fonctionne dans toutes les communes de France, et, comme par le passé, distribue impunément sa drogue au public. Voilà justement ce que nous ne pouvons tolérer. — À la vérité, nous avons à garder les apparences, et, en parole, nous décréterons de nouveau la liberté des cultes[1]. Mais, en fait et en pratique, nous détruirons l’officine et nous empêcherons le débit de la drogue ; il n’y aura plus de culte catholique en France, pas un baptême, pas une confession, pas un mariage, pas une extrême-onction, pas une messe : nul ne fera ou n’écoutera un sermon, personne n’administrera ou ne recevra un sacrement, sauf en cachette et avec l’échafaud ou la prison en perspective. — À cet effet, nous procédons par ordre. Pour l’église qui se dit orthodoxe, point d’embarras ; ses membres, ayant refusé le serment, sont hors la loi : on s’exclut d’une société quand on en répudie le pacte ; ils ont perdu leur qualité de citoyens, ils sont devenus de simples étrangers, surveillés par la police. Et comme ils propagent autour d’eux la désaffection et la désobéissance, ils ne sont pas même des étrangers, mais des séditieux, des ennemis déguisés, les auteurs d’une Vendée diffuse et occulte. Nous n’avons pas besoin de les poursuivre comme charlatans, il suffit de les frapper comme rebelles. À ce titre, nous avons déjà banni de France les ecclésiastiques insermentés, environ quarante mille prêtres, et nous déportons ceux qui n’ont pas franchi la frontière dans le délai fixé ; nous ne souffrons sur le sol français que les sexagénaires et les infirmes, et encore à l’état de détenus et de reclus ; peine de mort

  1. Décret du 18 frimaire an II. Notez les restrictions : « La Convention, par les dispositions précédentes, n’entend déroger en aucune manière aux lois ni aux précautions de salut public contre les prêtres réfractaires ou turbulens, ou contre ceux qui tenteraient d’abuser du prétexte de la religion pour compromettre la cause de la liberté Elle n’entend pas, non plus, improuver ce qui a été fait jusqu’à ce jour en vertu des arrêtés des représentans du peuple, ni fournir à qui que ce soit le prétexte d’inquiéter le patriotisme et de ralentir l’essor de l’esprit public. »