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deux vieilles occupées à examiner des détritus de bougies ; non pas des bouts de bougie ayant encore quelque mèche et quelque cire, mais des gouttelettes tombées sur la bobèche, enlevées du flambeau où elles s’étaient figées, grenaille de stéarine que l’on secoue avec le tapis, que l’on balaie avec les ordures. Les petites-sœurs ne les dédaignent point ; elles les conservent, et elles en refont des bougies qui brûlent comme si elles n’avaient pas déjà brûlé. Dans la même maison, des fragmens de vieilles passementeries qui avaient bordé des fauteuils de fabrique, étaient détordus avec précaution ; on en retirait la laine, que l’on tricotait : « Ça fait de bien bons bas d’hiver, » me disait une sœur. C’est là le secret, c’est là le miracle de l’existence des Petites-Sœurs des Pauvres ; elles tirent parti de tout et développent, dans l’emploi des débris les plus inutiles en apparence, une ingéniosité que rien ne déroute. Il est impossible de passer dans un dortoir sans reconnaître à quel degré d’habileté elles sont parvenues. Chaque lit est muni d’une courtepointe qui cache les draps et protège le traversin. Arlequin, dans ses rêves les plus dévergondés, n’a jamais imaginé de telles bigarrures. Ces couvre-pieds sont composés d’échantillons cousus les uns aux autres, assemblés autant que possible de façon à former des dessins qui ne soient pas trop baroques ; on sent qu’un certain goût a présidé à leur disposition. Avoir l’étoffe, on reconnaît la provenance ; les satins, les gros de Naples, les tailles ont été ramassés chez une couturière en renom ; les damas, les lampas, les brocatelles, les moquettes sortent de chez le tapissier ; à la maison de Picpus, voici des échantillons de tailleur, draps de fantaisie, draps d’été, draps de demi-saison, élasticotine d’Elbeuf, côtelé de Sedan, satin-cuir de Louviers ; les étiquettes indiquant les prix y sont encore ; j’ai demandé pourquoi, on m’a répondu sans sourire : « Ça garantit l’étoffe. » Ce n’est pas seulement à composer des couvre-pieds que l’on emploie ces carrés d’étoffes diverses ; on prend les échantillons en draps de nuances analogues et l’on en fabrique des vestes que les pensionnaires portent à la maison ; ce n’est point élégant, mais c’est chaud, et les vieilles épaules s’en accommodent. Tous ces objets : courte-pointes, taies d’oreillers, rideaux, vêtemens, sont confectionnés par les pensionnaires eux-mêmes : parmi eux, il y a d’anciennes couturières, d’anciens tailleurs ; on leur distribue la besogne ; ils mettent quelque coquetterie à prouver qu’ils peuvent travailler encore, et tout le jour ils tirent l’aiguille au grand bénéfice de l’association. Les vieilles chaussures demandées, recueillies par les petites-sœurs, sont ressemelées, rapiécées par les anciens cordonniers ; les chaises sont rempaillées, les buffets sont raccommodés, les bancs sont remis d’aplomb par d’anciens rempailleurs, d’anciens