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aux magistratures, aux commandemens, aux emplois de tout genre ; ils ont beau s’excuser ou se dérober, ils resteront ou deviendront généraux, juges, maires, agens nationaux, conseillers municipaux, commissaires de bienfaisance ou d’administration[1], à leur corps défendant. Tant pis pour eux si la charge est onéreuse ou dangereuse, s’ils n’ont pas le loisir nécessaire, s’ils ne se sentent pas les aptitudes requises, si le grade ou la fonction leur semble un acheminement vers la prison ou la guillotine ; quand ils allèguent que l’emploi est une corvée, nous leur répondons qu’ils sont les corvéables de l’état. — Telle est désormais la condition de tous les Français et aussi de toutes les Françaises. Nous forçons les mères à mener leurs filles aux séances des sociétés populaires. Nous obligeons les femmes à parader et à défiler en groupes dans les fêtes républicaines; nous allons prendre les plus belles dans leurs maisons pour les habiller en déesses antiques et pour les promener sur un char en public ; parfois même nous en désignons de riches pour épouser des patriotes[2] : il n’y a pas de raison pour que le mariage, qui est le plus important des services, ne soit pas, comme les autres, mis en réquisition. Aussi bien nous entrons dans les familles, nous enlevons l’enfant, nous le soumettons à l’éducation civique. Nous sommes pédagogues, philanthropes, théologiens, moralistes. Nous imposons de force notre religion et notre culte, notre morale et nos mœurs. Nous régentons la vie privée et le for intérieur ; nous commandons

  1. Gouvion Saint-Cyr, Mémoires sur les campagnes, de 1792 à la paix de Campo-Formio, I, 91-109. « L’avancement, que tout le monde craignait à cette époque... » Ib., 229. « Les hommes qui avaient quelques moyens s’éloignaient avec obstination de toute espèce d’avancement. » — Archives nationales, DSI 5. Mission du représentant Albert dans l’Aube et la Marne, et notamment l’arrêté d’Albert, Châlons, 7 germinal an III, avec les nombreuses pétitions des juges et officiers municipaux qui sollicitent leur remplacement. — Lettre du peintre Gosse (publiée dans le Temps du 31 mai 1882), très curieuse pour montrer les misères de la vie privée pendant la révolution. « Mon père fut nommé commissaire de bienfaisance et commissaire pour l’habillement des troupes ; au moment de la terreur, il eût été bien imprudent de refuser un emploi. — Archives nationales, FT, 3,485. Affaire de Girard Toussaint, notaire à Paris, « tombé sous le glaive de la loi, du 9 thermidor an II. » Girard, très libéral pendant les premiers temps de la révolution, avait été président de sa section en 1789, mais, après le 10 août, il s’était tenu coi. Le comité de la section des Amis de la patrie, « considérant que le citoyen Girard... ne s’est montré que dans les temps où la cour et Lafayette dominaient les sans-cullottes, » que, « depuis la révolution de l’égalité, il a privé de ses lumières ses concitoyens, ce qui est un crime en révolution, reconnaît le dit citoyen suspect à l’unanimité » et arrête « qu’il sera conduit au Luxembourg. »
  2. Ludovic Sciout, Histoire de la constitution civile du clergé, IV, 131, 135, arrêtés de Dartigoyte et de Pinat. — Recueil de pièces authentiques servant à l’histoire de la révolution à Strasbourg, t. I, p. 230. (Discours de Schneider à Barr pour marier le patriote Funck.) — Il paraît que Schneider faisait mieux encore et pour son propre compte. (Ibid., 317)