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Non, certes, le secret n’est pas neuf : si vieux qu’il soit, il peut servir encore et on ne l’a pas remplacé.

Il est étrange, il est presque douloureux d’avoir à défendre ces doctrines : le spiritualisme a fait la gloire de l’humanité ; c’est la lumière dont sont éclairées les âmes les plus hautes ; c’est de lui que sont nées les trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, qui sont aussi les trois vertus sociales, sans lesquelles les peuples ne sont que des troupeaux combattant pour l’existence, selon la formule de Darwin, se dévorant les uns les autres, mangeant, jouissant et crevant, au lieu de mourir. « Rien dans le monde moral n’est perdu, a dit Joubert, comme dans le monde matériel rien n’est anéanti. Toutes nos pensées et tous nos sentimens ne sont, ici-bas, que le commencement de sentimens et de pensées qui seront achevés ailleurs. » C’est sur de tels principes que s’appuient ceux qui font du bien sans autre préoccupation que de faire le bien. Les âmes mystiques emportées par un amour surhumain s’échappent du monde, s’enferment dans une cellule et, à force d’adoration, arrivent à l’extase et presque à la contemplation du Dieu auquel elles brûlent de s’unir ; leur joie est ineffable. Elles ont quitté la terre, dont les misères leur deviennent invisibles, elles planent parmi les espaces et semblent perdues dans un éther divin où fleurissent les voluptés de l’esprit. Celles-là sont heureuses et elles ont atteint ici-bas une sorte d’immatérialité que nulle souffrance ne peut détruire et qui n’est plus touchée par les réalités de l’existence. Il n’en est pas de même des êtres charitables qui, renonçant par libre volonté à ce que la vie contient ou promet, recherchent la caducité, la maladie, l’infortune afin de leur porter secours. Loin de fuir les misères humaines, ils y plongent avec ardeur, ne reculant devant aucun dégoût pour les mieux soulager. Dans l’homme ils ne s’enquièrent que du malade, dans le malade ils ne recherchent que l’incurable et vivent en contact avec le rebut de tous les maux, de toutes les impuissances, de toutes les infirmités. Quel sentiment les pousse au labeur incessant dans les maladreries, à l’adoption des abandonnés, à cette maternité intarissable dont le dévoûment ne se lasse jamais et qui semble retrouver des forces dans son exercice même ? Le désir de plaire à Dieu en aimant le prochain, le besoin de spiritualiser sa vie en la sacrifiant aux malheurs d’autrui. C’est là un spectacle admirable, et je l’ai admiré.

Dans ce Paris tumultueux qui, plus que jamais, plus que sous le règne de Louis Philippe, plus que sous le second empire, semble devenir le mauvais lieu de l’univers ; dans ce Paris où les libertés publiques se transforment en licence, où les étrangers de tous pays apportent leur argent, leurs curiosités dépravées, pour mieux médire ensuite de nos mœurs faciles, il faut parfois s’éloigner des