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pour diriger sa conscience sans que personne eût le droit d’y faire objection[1]. Si j’avais été présent à la délibération, je me serais associé à l’opinion du Dumouriez.

J’étudierai les œuvres dont j’ai à parler avec respect, mais avec une indépendance absolue ; je ne leur demanderai pas compte de leur croyance, mais je regarderai leurs actions, et si leurs actions sont louables, je les louerai. Je recherche comment on fait le bien, quel bien l’on fait : rien de plus. On dit que cette charité est inspirée par une foi aveugle, que cette foi s’appuie sur des textes prétendus révélés qui fourmillent de contradictions : qu’importe ! je ne m’en inquiète guère ; ceux qui croient sont heureux et j’envie leur bonheur. Si leur croyance est une erreur, que cette erreur soit glorifiée, puisqu’elle les entraîne à secourir les misérables, à calmer la souffrance, à rendre l’espoir aux désespérés. La foi n’est pas justifiée par la science ; c’est trop heureux, car la vérité scientifique d’hier est l’erreur d’aujourd’hui ; la science ne console pas, c’est la religion qui console. Railler Dieu, nier Dieu, c’est facile et même un peu suranné. Il ne faut point demander à un homme quel Dieu il sert, mais à quelles actions le convie son Dieu. Si ses actions sont irréprochables, si elles sont désintéressés, si elles sont hautes, je m’incline devant cet homme, je ne pense pas à le plaisanter de sa croyance et je la lui envie.

Qui me pousse à entreprendre ce nouveau travail, à rompre avec ma vie sédentaire, à rassembler des chiffres, à faire encore des enquêtes contradictoires ? L’esprit de justice ? l’esprit de contradiction ? Je n’ai pu le définir : l’un et l’autre sans doute. Il me semble que l’heure est propice : l’inquisition s’est faite « laïque et obligatoire, » comme l’enseignement qui, en invoquant le principe de liberté, démontre qu’il n’aime point la concurrence. On s’est donné le luxe d’un peu de persécution ; persécution sans effusion de sang, je le reconnais ; on n’a conduit personne au chemin de ronde de la Grande-Roquette, ni à la rue Haxo, mais persécution cruelle, car on a frappé des âmes qui en restent désorientées ; on a dispersé des hommes qui se plaisaient à vivre les uns près des autres, chassé loin des hôpitaux la consolation qui apaisait la souffrance, on a enlevé des écoles l’image du Juste injustement condamné ; on a été inutilement brutal. Des congrégations contemplatives et enseignantes ont été expulsées ; il subsiste encore des congrégations charitables ; dépêchons-nous de les faire connaître, avant qu’elles soient dispersées à leur tour et qu’elles soient contraintes d’abandonner les épaves sociales qu’elles ont recueillies et devant le nombre desquelles l’assistance publique se sentirait impuissante.

Une parole mauvaise a été prononcée qui sert de mot d’ordre dans

  1. O. de Vallée, André Chénier et les Girondins, p. 158.