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cheminant dans la voie douloureuse où chacune de leurs stations était marquée par un bienfait. De loin, me dissimulant, je les ai suivies ; j’ai pénétré après elles dans les bouges où elles étaient entrées comme un rayonnement et j’y retrouvais quelque chose de la lumière qui les environnait. Plus d’une fois, il m’est arrivé de les rencontrer le soir, dans un salon, sous la clarté des lustres, enjouées, spirituelles, plaisantes, aimant à plaire et conservant dans le regard, dans le sourire, cette sérénité qui est le parfum de l’âme satisfaite d’elle-même. Elles gardaient si bien leur secret que, pour plus d’une, nul ne l’a jamais soupçonné. Ces actes de charité individuelle sont très nombreux à Paris ; on les ignore ; la multitude n’a point le loisir de s’arrêter et de regarder de quelles mains tombe l’aumône ; à peine sait-elle qu’il existe des œuvres de charité collective où les grandes misères sont pansées et où chaque jour la foi renouvelle le miracle de la multiplication des pains. Ces œuvres appartiennent essentiellement à ce que j’appelle la bienfaisance anonyme ; les personnes qui l’exercent, — hommes et femmes, — ont abandonné leur nom du monde pour adopter un nom de vocation. D’où viennent les dons, les largesses, — ce mot n’a rien d’excessif, — qui permettent de recueillir les vieillards, de soigner les incurables, de ramasser les enfans perdus ? Nul ne le sait ; le nom d’aucun bienfaiteur n’est jamais prononcé. Tout ce que je puis dire, à l’éternel honneur de ce Paris futile, vaniteux, prévaricateur, c’est qu’en matière de charité il ne faut pas désespérer de lui. À cause de cela, il lui sera beaucoup pardonné. Un seul journal, le Figaro, a, dans l’espace de dix ans, reçu par souscriptions et distribué en bonnes œuvres la somme de 3,541,063 francs.

Instituts de bienfaisance anonyme, œuvres de la charité privée, c’est ce que je voudrais étudier aujourd’hui, sans parti-pris d’opinion, sans esprit de propagande, je me hâte de le dire, afin que le lecteur ne se méprenne point sur mes intentions : je ne suis pas de ceux que la foi a touchés. Il n’est pas accordé à tout le monde d’avoir la foi, mais il est imposé à chacun de ne point troubler la foi d’autrui. L’homme qui veut me forcer d’aller à la messe, celui qui veut m’empêcher d’y aller, me sont également odieux. La vie conventuelle, la vie de régiment, la vie solitaire est un besoin pour certaines âmes. Ce besoin est respectable, et ce n’est mettre ni les lois, ni la sécurité sociale en péril, que de le laisser s’exercer en toute liberté ; y porter atteinte, c’est faire acte de tyrannie et, — j’en suis fâché pour les fauteurs de la libre pensée, — c’est faire acte d’inquisition. Quand les girondins voulurent contraindre Louis XVI à renvoyer son confesseur et que Guadet écrivit à ce sujet une lettre que les ministres devaient signer, Dumouriez déclara que le roi pouvait prendre un iman, un rabbin, un papiste ou un calviniste