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du sol se soutient et reste sans interruption le même sur une crête de même aspect qui se développe en face et à moins de 1,000 mètres de l’assiette du front de bandière. Melo comptait porter son armée en avant sur ce deuxième contrefort, afin de maintenir l’ennemi plus loin de la place et surtout d’éviter toute apparence de couardise[1] ; attendre les Français en se couvrant d’un étang et d’un marais lui semblait indigne d’un représentant du roi catholique. Mais le seigneur marquis, comme l’appelle son panégyriste, avait décidément affaire à des gens qui se pressaient. Tandis qu’il délibère et que ses troupes se réunissent, il voit la position qu’il comptait occuper, et dont il ne pouvait découvrir le revers, se couronner d’une ligne assez longue et très serrée d’escadrons intercalés avec des bataillons. Les têtes des chevaux et les hommes du premier rang se montrent bien alignés au sommet. Qu’y a-t-il derrière ? Du point où il est placé, le capitaine-général ne peut s’en rendre compte. Ce qui est certain, c’est que l’ennemi, à qui l’entrée des bois n’a pas été disputée, qui a pu déboucher et, sans coup férir, prendre pied sur le plateau, occupe maintenant la position où les Espagnols voulaient l’attendre et qu’il n’en sera pas délogé sans combat. Ce combat, Melo ne veut pas l’engager encore ; il attendra Beck pour attaquer. Un nouveau retard de quelques heures ne sauvera pas Rocroy ; toutes les issues sont gardées et les Français ne peuvent pas y jeter un homme de plus ; c’est une place perdue pour eux. S’ils osaient prendre l’offensive, l’armée du roi catholique leur ferait payer cher leur audace. Les derniers ordres sont donnés, ils sont sommaires ; le mestre de camp général tracera la ligne de bataille en avant du front de bandière et disposera l’infanterie à sa guise ; le général de la cavalerie mettra ses escadrons en ordre ; le commandant de l’artillerie placera ses pièces au mieux. Il était environ deux heures de l’après-midi.

C’était un rideau de cavaliers et de mousquetaires que Melo venait d’observer sur le contrefort qui lui faisait face, et derrière ce rideau arrivait toute l’armée française de Picardie résolue à combattre. Retournons au point où nous l’avons laissée le 14 mai au soir, aux sources de la Somme, non loin de Saint-Quentin, et suivons ses mouvemens, la pensée de son chef, comme nous venons de suivre la pensée et les mouvemens de don Francisco Melo.


Henri d’Orléans.

  1. De mostrar tener cobardia. (Vincart. Relation espagnole officielle.)