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arbres de haute futaie, dans une de ces clairières, rares alors, et que les progrès de l’agriculture multiplient, agrandissent chaque jour, s’élève le clocher de Rocroy. Il marque le centre d’un plateau d’environ six kilomètres de rayon, d’une altitude moyenne de 380 mètres, d’où les eaux s’écoulent lentement à travers un terrain argileux, çà et là marécageux, partout stérile ; elles se divisent en trois ruisseaux dont l’un, le Gland, va grossir l’Oise non loin de sa source, tandis que la Sormonne coule vers le sud pour tomber dans la Meuse près de Mézières, et que l’Eau-Noire rejoint cette rivière par le nord. L’aspect est froid et triste, même de nos jours, où l’élevage du bétail transforme toute cette région ; la mousse, les genêts y dominent encore. On est là au milieu des Rièzes ; c’est le nom local de ces landes humides. De toutes parts, le plateau est bordé par une ceinture de taillis bas et touffus, végétant péniblement sur un sol rocailleux, percés de quelques chemins qui n’étaient guère alors que des sentiers ; les voies d’accès étaient plus praticables du côté du sud. François Ier avait compris que le pauvre village perdu au milieu de ce désert, sur la dernière limite du domaine royal, pouvait devenir une position militaire ; de quelques cabanes de bergers et de fraudeurs il fit une ville de guerre, et les enveloppa d’une enceinte dont le périmètre n’a pas été modifié. En 1643, Rocroy était (comme aujourd’hui) une place de cinq bastions, avec fossé assez profond, chemin couvert et demi-lunes devant les courtines. Il n’y avait de maçonnerie qu’à l’escarpe, mais abondance de fraises et de palissades dans les dehors. On avait eu quelques inquiétudes pour Rocroy l’année précédente, et la place avait été à peu près mise en état de défense[1] ; depuis elle avait été de nouveau négligée, et les jardiniers enlevés le 13 mai au matin n’avaient pas trompé le comte d’Isembourg en lui disant que la garnison était tombée de mille à quatre cents hommes. Rappelons que Rocroy faisait partie du gouvernement de Champagne et n’était pas, selon l’expression de nos règlemens militaires, dans le rayon d’action de l’armée de Picardie.

A son arrivée devant la place, don Francisco Melo, estimant que le duc d’Anguien devait être encore assez loin, que l’armée qui se réunissait à Langres pour entrer dans la Comté n’était pas à redouter, que le corps du marquis de Gesvres en Champagne n’existait que sur le papier, jugea qu’une circonvallation serait inutile ; il se borna à faire tracer par Fontaine le front de bandière,

  1. « Les ennemis sont toujours auprès de Charlemont. J’ai mis à tout hasard mille bons hommes dans Rocroy. » Gramont à M. le Prince (Mézières, 18 juillet 1642) après la bataille de Honnecourt perdue en mai. A. C. 199.