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le sol de la France, les hommes fatigués ou ennuyés disparaissaient assez facilement ; quelques-uns étaient arrêtés, beaucoup échappaient, retournaient chez eux ou allaient reprendre du service ailleurs : si les capitaines, en recrutant leurs compagnies, tombaient sur un homme de bonne mine, ils ne s’inquiétaient guère des antécédens. Les troupes commettaient beaucoup de désordres. Le ministre en demandait la répression, signalait les « voleries » des capitaines qui présentaient des passe-volans aux revues, etc. On pendait quelques pillards, on menaçait certains officiers de la Bastille, on cassait les plus mauvais.

L’armée manquait d’ardeur et de confiance ; elle avait cette allure triste et résignée que donne l’habitude de la défaite. M. le Duc se rendait bien compte du tempérament de ses troupes : « Il y en a de bonnes, mais pas toutes[1]. » Plusieurs corps avaient montré de la faiblesse dans les campagnes précédentes ; on les nommait. Sur vingt régimens d’infanterie, neuf ou dix pouvaient être considérés comme solides, encore étaient-ils presque entièrement refaits ; car tous avaient souffert. Quelques-uns étaient si faibles qu’il fallait en mettre deux ou trois ensemble pour former l’unité de combat, le bataillon, beaucoup de visages imberbes dans les rangs ; cependant l’ensemble était robuste, les piquiers surtout, hommes de choix, qui avaient à manier une lourde lance et devaient résister au choc ; ils formaient encore presque la moitié de l’effectif : les mousquetaires étaient plus agiles ; leur arme, difficile à charger, n’avait d’effet qu’aux petites distances : tous étaient assez bien exercés ; la tactique était, nous l’avons dit, en progrès. Beaucoup de bons capitaines, surtout dans les « vieux, » Picardie, Piémont, et dans les « petits vieux, » comme Rambure, La Marine, Persan ; quelques très bons mestres de camp. La cavalerie se composait de vingt et un régimens, presque tous accusés d’avoir tourné bride sans en venir aux mains, ceux-ci à Thionville, d’autres à La Marfée. Ils s’étaient mieux comportés à Honnecourt, notamment les chevau-légers de Guiche. Le meilleur renom appartient aux cuirassiers de Gassion, aujourd’hui « mestre de camp général » et à « Royal, » qui s’appelait « Richelieu » il y a quelques mois. Tous combattent avec l’épée et le pistolet ; ils sont passablement montés. Le service d’éclaireurs est fait par les deux régimens de Croates et par les fusiliers à cheval, qui deviendront les dragons. Pour réserve quelques compagnies de « gendarmes » qui « ne vont pas à la guerre, » c’est-à-dire aux avant-postes et reconnaissances, mais qui savent charger à fond ; ils étaient deux cent vingt maîtres à La Marfée ; ils y furent héroïques. L’artillerie se remettait difficilement des pertes

  1. M. le Duc à M. le Prince, 22, 24, 26 avril, 2 mai.