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ZÎ98 REVUE DES DEUX MONDES. entièrement découverte et à perdre le concours d’un tiers (au moins) de ses troupes.

Il était difficile de prendre un commandement dans des circonstances moins avantageuses. La mort de Richelieu avait amené un relâchement général, suite habituelle de la chute des gouvernemens qui ont tendu à l’excès tous les ressorts. Les mécontens relevaient la tête ; les ambitieux se tenaient aux aguets ; tous les yeux étaient tournés vers la cour. Le lien de la discipline s’affaiblissait ; chacun allait, venait, celui-ci pour régler ses affaires, cet autre pour solliciter. Gesvres, malgré son goût pour le métier des armes, quitta son poste important de Chauny et s’absenta des premiers, appelé par de graves intérêts de famille, peut-être aussi obéissant à un sentiment plus impérieux encore que l’ambition[1]. Des maréchaux de camp, comme d’Aumont, et le maréchal de bataille lui-même, La Vallière, suivirent cet exemple ; après s’être montrés à leur poste, à peine arrivés, ils reparlaient. « Tous les capitaines du régiment des gardes écossaises, écrivait M. le Duc à son père, sont allés à Paris sans mon congé ; les officiers suisses sont aussi tous à Paris ; il n’y a point d’officiers à ces troupes, et les soldats ne marcheront pas sans eux. Que l’on commande à tous les officiers de l’armée qui sont à Paris de se rendre à leurs charges. » L’argent devenait rare ; les services étaient mal assurés, la solde en retard. « Nostre artillerie n’est point preste pour marcher ; nous avons si peu de chevaux qu’on n’en peut guère mener… Il n’y a plus de quoy faire subsister la cavalerie d’Amiens ni d’Abbeville, » écrivait encore M. le Duc, et quand on lui annonça un premier envoi d’argent, on eut soin de le prévenir qu’il n’y avait rien pour l’infanterie. « Il est fort à craindre qu’elle ne se desbande, répliqua-t-il. Surtout payez les Suisses ; ne maltraitez pas un corps considérable. Si l’on n’observe pas le traité qu’ils ont faict avec M. Des Noyers, je prévoy un grand désordre et qui gagneroit toute l’armée. » Les chefs des troupes étrangères capitulées laissaient entendre que la mort prochaine du roi les relèverait de leur serment. Il n’y avait pas de mutinerie à craindre, mais la désertion pouvait devenir contagieuse. Dans les régimens nationaux, qui ne quittaient guère

  1. Le prétexte de cette absence était la présentation de son père comme duc et pair ; le vrai motif était son désir de se rapprocher de Marie de Gonzague. Les archives de Condé renferment plusieurs lettres adressées par le marquis de Gesvres à cette princesse, pendant les mois d’avril et juin 1643, et du tour le plus passionné.
    Marie-Louise de Gonzague Clèves, duchesse de Mantoue et de Nevers, épousa successivement deux rois de Pologne, Wlalislas en 1646 et Jean-Casimir, son frère, en 1649 ; elle mourut à Varsovie en 1667. Bien que cette princesse, héroïne d’un roman bien connu (Cinq- Mars, par Alfred de Vigny), tienne une grande place dans l’histoire anecdotique comme dans l’histoire politique de son temps, nous ne trouvons pas trace ailleurs du sentiment si vil qu’elle avait inspiré au marquis de Gesvres.