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de son cousin en disgrâce pour se donner au premier ministre de Philippe IV, dont il sut gagner et conserver la faveur. La carrière de la politique active s’ouvrit devant lui ; il en parcourut rapidement les degrés et s’acquitta heureusement de missions difficiles à Vienne, à Gènes, à Ratisbonne, en Sicile. C’était un homme d’une quarantaine d’années, trapu, les cheveux touffus, le visage noir, d’aspect très méridional. Intelligent, adroit, énergique, diplomate consommé, administrateur habile, il n’avait ni expérience de la guerre ni connaissances professionnelles quand il reçut, avec le titre de gouverneur des Pays-Bas et de Bourgogne, le grade de capitaine-général et le commandement d’une armée. La fortune sourit à ses débuts ; il créa des ressources, rétablit un peu d’ordre dans les finances et entra en campagne en 1642 avec une armée bien pourvue, à laquelle il sut donner une bonne direction générale. Pour conduire les troupes sur le terrain, il pouvait se fier au coup d’œil sûr, au sang-froid et à la longue expérience de Fontaine, vieux guerrier de cinquante ans de service, et au courage entraînant de Beck, d’un caractère bouillant, animé par la haine du nom français, un de ces hommes que nos voisins d’outre-Rhin surnomment général Vorwaerts (en avant). Employant habilement selon leur aptitude des lieutenans de cette qualité, Melo enleva Lens et La Bassée sous les yeux des généraux français ; puis ceux-ci ayant séparé leurs quartiers, il tomba un matin sur l’armée du maréchal de Guiche, et lâchant la bride à Beck, remporta une victoire éclatante (26 mai 1642). Sans une diversion puissante que fit notre armée d’Allemagne, le gouverneur des Pays-Bas aurait pu, après la journée d’Honnecourt, tenter la marche sur la capitale de la France, réaliser peut-être le rêve de ses prédécesseurs.

« Les Espagnols se vantent, dit un auteur contemporain, sagace et bien informé[1], de vouloir hyverner à Paris sur le fondement de leur premier exploit en Picardie. » C’était un objectif fixé par la tradition ; or la tradition régnait dans cette armée ; établie par les maîtres, elle guidait leurs successeurs. Il y avait là une véritable école : avec des degrés marqués dans la pratique, des écarts considérables dans le succès, la méthode reste uniforme. Quelle que soit la diversité des origines, du mérite, les généraux du roi catholique emploient les mêmes procédés stratégiques : le secret et le calcul dans la combinaison des marches, les concentrations longuement préparées, rapidement exécutées, l’emploi très étudié, souvent excessif, de la fortification ; plus de sièges que de combats. Habituellement temporiseurs, ils ont leurs jours de hardiesse ; excellant

  1. Le Laboureur, Histoire de Guébriant.