Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/498

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comptait dans sa place deux cent quatre-vingt-onze femmes mariées (donne maritate) appartenant au régiment italien Martini, avec trois fois autant d’enfans, et sans compter les concubines. Il faut se reporter aux gravures de Callot, les Misères de la guerre, surtout aux tableaux et aux estampes de certains maîtres flamands pour se figurer avec quelle licence vivaient ces bandes d’expatriés, non-seulement en pays ennemi, mais dans les contrées mêmes qu’elles étaient appelées à défendre et à protéger ; de nombreuses lettres de prélats et d’administrateurs belges en témoignent avec des détails effrayans. Les soldats que nous pouvons appeler indigènes, les Flamands, Wallons, Lorrains, Comtois, Allemands du cercle du Rhin, sont généralement plus jeunes, moins violens, peut-être plus prompts à se débander ; ils sont chez eux, ils savent où fuir après une déroute, où se retirer à la fin de leur engagement. La combinaison de tous ces élémens disparates, de ces troupes d’origine et de mœurs si différentes, tenant les mêmes garnisons, combattant ensemble sans se mêler, faisait la force et la faiblesse de l’armée du roi catholique ; les régimens se surveillaient entre eux, se maintenaient ou se ramenaient réciproquement dans le devoir ; il y avait des rivalités généreuses ; il y avait aussi les haines de race, les jalousies fatales, parfois la trahison ou le soupçon de la trahison.

Vigoureuse dans les attaques, sachant tirer parti du feu, ayant surtout la tenue du champ de bataille, cette infanterie manquait de mobilité et de souplesse, exagérait les formations compactes. La cavalerie, presque toute alsacienne et wallonne, avec quelques compagnies espagnoles, pesamment armée, bien montée, était surtout redoutable au choc ; les troupes légères, armées à la hongroise, venaient des plaines du Danube. L’artillerie, lourde, mais suffisamment nombreuse et bien munie, était accompagnée d’équipages de siège et de ponts très complets pour l’époque. Alors que l’artillerie dans les armées françaises était conduite par un simple lieutenant du grand-maître, qui n’avait pas de rang militaire bien défini et qui était à moitié soldat, à moitié entrepreneur, chaque armée espagnole avait un général d’artillerie. La disparate que présentaient les troupes se retrouvait dans le commandement avec des complications qui semblaient être un legs politique de Philippe II.

Si le capitaine-général qui réunissait tous les pouvoirs était maintenu plusieurs années dans ses fonctions, les généraux sous ses ordres changeaient souvent d’attributions ; leurs patentes n’étaient données que pour six mois. Les chefs de corps mêmes, les mestres de camp, étaient souvent déplacés et mis à dessein à la tête de régimens de race différente. L’origine obscure ou douteuse n’était pas un obstacle : un marchand génois avait jadis succédé au duc