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dernières années, essuyé en rase campagne des revers considérables, devant Thionville en. 1630, près de Sedan, à la Marfée en 1641, et, en 1642, à Honnecourt, aux sources de l’Escaut. Trois fois nous avions été surpris et trois fois la défaite s’était changée en déroute. Dans ces rencontres, la cavalerie française avait plutôt manqué de souffle que d’élan ; elle avait facilement lâché pied et trop vite quitté le champ de bataille. L’infanterie, abandonnée par la cavalerie, s’était montrée inégale ; la solidité, la cohésion lui avaient fait défaut. L’armée espagnole avait le prestige de la supériorité militaire.

Au milieu des petites places éparses, dans les vastes plaines des Pays-Bas, l’armée du roi catholique figurait comme une citadelle vivante et mobile, destinée à contenir les peuples dans la soumission et à résister aux invasions, difficile à ravitailler, mais menaçante, dominant, au loin, poussant de vigoureuses sorties. On pouvait l’entamer, la frapper dans ses dehors ; tant qu’elle restait debout, l’adversaire ne pouvait compter ni sur une victoire définitive, ni sur une conquête durable. Les contingens fournis par les diverses provinces de la monarchie, les Italiens de Naples, de Sicile et du Milanais, les Bourguignons de la Franche-Comté, les Flamands, les Wallons, les Allemands venus des bords du Rhin représentaient les ouvrages extérieurs, soutenus et reliés par un réduit inébranlable, les fameux Tercios viejos[1], les « Espagnols naturels. » Ces vieux régimens ne pouvaient guère s’entretenir par un recrutement régulier : « Vouloir mettre une pique en Flandre, » disait le proverbe castillan, c’était tenter l’impossible. Les contingens arrivaient difficilement par mer, rares ou faibles, presque nuls depuis l’anéantissement de la grande Armada ; le cabinet de Madrid laissait ces légions lointaines s’épuiser périodiquement par la guerre ou les maladies. Quand l’effectif tombait trop bas, d’autres étaient mises sur pied dans le Milanais ou dans le Napolitain, et soit par la Savoie et la Franche-Comté, soit par le Brisgau et l’Alsace, ou par la Valteline et les états autrichiens, elles gagnaient les Pays-Bas. C’est ainsi que l’armée du duc d’Albe remplaça vers 1566 celle qui avait triomphé à Saint-Quentin avec Philibert-Emmanuel ; il y eut ensuite celle du duc de Parme, celle de Spinola ; l’armée du cardinal-infant que nous avons sous les yeux avait dix ans de service.

Dans le chapitre trente huitième du plus célèbre des romans, au moment où de nombreux auditeurs, groupés autour du bon chevalier de la Manche, écoutent un de ces discours où la hardiesse de la

  1. Lors de leur création au XVIe siècle, les rétiniens d’infanterie espagnols étaient divisés en trois tronçons, l’un armé d’épées et de boucliers, un autre de piques, le troisième d’arquebuses ; de la le nom de Tercios, qui avait survécu à la modification de l’armement.