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Roussillon que Richelieu appela l’attention du roi sur les deux chefs qu’il voulait lui faire agréer. Si sûr qu’il fût de Turenne, il ne pouvait lui donner l’armée qui garderait en quelque sorte les clés de Sedan, et il le destinait, à l’Italie. Anguien devait commander les troupes qui venaient d’être cantonnées entre l’Oise et la Somme.

Sans les divulguer prématurément, Louis XIII sut respecter les choix légués par le cardinal. C’est au mois de mai seulement que Turenne reçut sa commission ; mais, dès la fin de février, le duc d’Anguien était officiellement désigné, et, depuis le 2 mars, la série des ordres et des correspondances ne conserve aucune trace d’hésitation sur son maintien dans le commandement. Toutefois il est à peu près certain qu’au moment où la maladie du roi s’aggrava, où on parla de la régence, son changement fut agité dans le conseil. Les uns le trouvaient trop jeune, trop délicat de santé ; il est malade, assurait-on, et ne peut sortir qu’en voiture ; d’autres redoutaient les intrigues de M. le Prince : lorsque tout était incertain, à la veille d’agitations imminentes, était-il opportun de mettre une armée aux mains de la maison de Condé ? Le secrétaire d’état de la guerre, Des Noyers, très attaché à M. le Prince, défendait le fils de son ami ; mais son crédit baissait (il fut destitué le 25 avril), et le nouveau premier ministre, Mazarin, ne passait pas pour partager ces sentimens ; cependant il s’est toujours attribué le mérite d’avoir décidé Louis XIII à persévérer dans sa première résolution et à donner au jeune général l’ordre tant attendu de partir pour Amiens. Le 17 avril, M. le Duc était à son poste[1]. Il y fut reçu par son lieutenant-général, qui l’avait précédé de quelques jours. François de L’Hôpital, comte de Rosnay, connu jusqu’alors sous le nom de Du Hallier, arrivait des frontières de la Lorraine, où il avait servi l’année précédente, employé à l’éternel siège de La Motte[2], cette pauvre petite ville, perchée sur une butte presque inaccessible, que sa situation géographique désignait à de continuelles attaques et qui, une fois prise après tant d’assauts repoussés, fut si bien détruite qu’il n’en reste plus trace aujourd’hui. Il venait d’être nommé gouverneur de Champagne et se trouvait ainsi naturellement désigné pour être l’alter ego du duc d’Anguien, ou plutôt pour partager le commandement avec lui, car il était prescrit au jeune prince « de ne rien entreprendre que par le conseil du sieur Du Hallier et de toujours agir avec le bon advis dudit sieur. » Pour donner plus de poids encore aux conseils, de ce mentor, le roi l’éleva le 23 avril

  1. Il était parti de Paris le 15.
  2. Place de Lorraine, définitivement rasée en 1644, située près de Bourmont (Haute-Marne), qui est en grande partie bâti avec les pierres provenant de la démolition de La Motte.