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partie de l’Andalousie, il n’existe que deux classes sociales, la haute et la basse, l’une, qui vit de ses rentes ou de ses fermages, l’autre, de son modique salaire. Ces provinces manquent de classes moyennes. Le prolétariat rural révèle une absence de sens moral résultant des conditions du pays, des vieilles habitudes locales. » Ce prolétariat dispersé dans d’immenses étendues, dans les pâturages sans fin de l’Andalousie et de l’Estramadure, vit en effet presque à l’état sauvage; il en a les ignorances et les passions. Ajoutez à ces conditions rurales l’état particulier d’un pays où le brigandage est une tradition et a ses légendes, où bandits et contrebandiers, au nombre de plusieurs milliers, trouvent partout des complices et s’assurent l’impunité soit par la terreur qu’ils inspirent, soit par l’appui qu’ils prêtent en temps d’élections aux autorités locales et aux candidats. Le résultat est cette situation troublée et incohérente que les révolutions successives n’ont pas créée entièrement sans doute, qu’elles ont exploitée et aggravée. Les révolutions n’ont pas fait cette anarchie, qui date de loin : elles l’ont disciplinée et alimentée. Elles ont préparé la fortune de ce socialisme nouveau qui a pénétré en Andalousie, qui est un mélange de brigandage traditionnel, de passions agraires et d’idées empruntées à la démagogie moderne. Là-dessus sont survenues quelques années de disette qui ont accru les souffrances dans les campagnes, et la misère a complété l’œuvre de démoralisation en livrant ces populations ardentes aux organisateurs de sociétés secrètes. Le fait est que cette association dite de la « Main notre » a pris en peu de temps une extension et une puissance extraordinaires qui se sont révélées de façon à inquiéter singulièrement l’opinion espagnole.

D’où vient ce nom mystérieux de la « Main noire ? » On ne le sait trop, pas plus qu’on ne distingue encore avec précision jusqu’à quel point et dans quelle mesure cette agitation andalouse se rattache à d’autres mouvemens socialistes dans la péninsule ou à l’étranger. Ce qui est certain, c’est que cette association de la « Main notre » qui a envahi l’Andalousie a tous les caractère des affiliations du socialisme contemporain et qu’elle est par elle-même un instrument puissant d’anarchie. Elle a son organisation, ses statuts, ses mots d’ordre, ses symboles. Bien entendu, selon le nouveau droit nihiliste qu’elle a transporté en Andalousie, elle a pour objet de défendre les pauvres et les opprimés contre ceux qui les exploitent, de travailler à la révolution sociale, de faire une distribution nouvelle des terres, — et elle commence par mettre les riches, les propriétaires hors la loi! Elle proclame que, pour les combattre comme ils le méritent, tous les moyens sont bons, « sans excepter le fer, le feu et même la calomnie. » L’initiation, à ce qu’il paraît, est entourée de mystère, et tout affilié qui trahit le secret de l’organisation révolutionnaire est passible de la peine de mort. La société a naturellement son budget, ses cotisations ; elle a