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de politique générale, de ces conflits de diplomatie, de ces rivalités d’ambitions et d’influences qui se réveillent sans cesse, qui se reproduisent un peu partout, à l’orient et à l’occident, à la conférence de Londres, à Constantinople ou au Caire ; elles souffrent pour le moment d’un mal assez universel, de ce mal de l’anarchie, du socialisme ou du nihilisme d’autant plus grave qu’il touche à la racine de la société européenne et qu’il est à peu près insaisissable. C’est le phylloxéra social ! Tous les pays semblent en être plus ou moins atteints et ont affaire à cet ennemi intérieur. La Russie, qui a eu, depuis quelques années, le singulier privilège d’être le foyer le plus actif des propagandes révolutionnaires, la Russie n’a qu’une paix apparente, et on en est à se demander si, en dépit de toutes les précautions de police, le prochain couronnement du tsar ne sera pas troublé par quelque diabolique invention nihiliste. L’Autriche poursuit ses anarchistes livrés en ce moment aux tribunaux de Vienne pour vol et haute trahison. L’Allemagne a son socialisme révolutionnaire, que M. de Bismarck cherche à combattre par son socialisme d’état, — sans négliger les condamnations judiciaires et les rigueurs de l’état de siège. L’Angleterre, la puissante Angleterre elle-même, a dans ses prospérités extérieures sa maladie agraire, sa plaie irlandaise qu’elle s’efforce de guérir par tous les moyens, par les réformes ou par les répressions, et qu’elle ne guérit pas, — dont de récens procès lui ont dévoilé la profondeur. La petite Belgique, si souvent éprouvée par les grèves, vient d’avoir ces jours derniers, elle aussi, son explosion de dynamite, qui était, il est vrai, une importation de France et qui a commencé par coûter la vie à un des expérimentateurs de ce nouveau procédé de civilisation. Voici maintenant l’Espagne envahie par l’épidémie socialiste qui a reparu depuis quelques jours avec une intensité nouvelle au-delà des Pyrénées, au fond de l’Andalousie. Demain, ce sera le tour de l’Italie, qui n’est pas plus à l’abri que les autres nations, qui ne s’est signalée encore que par des essais, par des explosions partielles devant le palais de l’ambassadeur d’Autriche ou devant le Quirinal. Ce n’est rien encore au-delà des Alpes; le danger ne commencera que le jour où l’agitation aura pénétré dans les régions où la misère, la constitution sociale et agricole peuvent donner prise à toutes les propagandes.

Le mal est partout et tient à un travail révolutionnaire qui ne connaît pas de frontières, qui tend à enlacer toutes les contrées de l’Europe dans un même réseau d’anarchie. Il a sans doute des causes générales, un caractère international, si l’on veut, et naturellement aussi il a des nuances particulières selon les pays où il se manifeste. Il se produit certainement aujourd’hui sous une forme d’une étrange et saisissante originalité dans ce mouvement qui vient d’éclater ou plutôt de se dévoiler au midi de l’Espagne, qui, sans être allé encore jusqu’à l’insurrection déclarée, est assez grave pour exciter une émotion