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que Giboyer annonçait. Comment s’accomplirait-il ? Le précurseur n’en savait rien au juste, pourtant il s’en doutait. Ce « grand chemin de l’éducation » où son père, un portier ambitieux, l’avait « engouffré, » il pouvait bien le traiter d’impasse et demander par boutade qu’on « murât ce cul-de-sac si l’on ne voulait pas le percer par l’autre bout; » mais il comptait qu’on le percerait. Trois ans plus tard, dans Maître Guérin, l’inventeur d’une méthode pour apprendre à lire devait déclarer que «la diffusion des lumières est aussi essentielle au régime de l’égalité qu’elle a été fatale au régime du privilège, et que la conséquence immédiate du suffrage universel, c’est l’éducation universelle. » Giboyer n’eût pas désavoué ce langage; il eût ajouté que, si la proposition de M. Desroncerets est vraie, la réciproque l’est davantage; que la conséquence de l’éducation universelle, c’est la toute-puissance du suffrage universel, et que par l’organisation de ce suffrage éclairé, par le jeu des institutions d’une nation tout entière instruite, et par ce moyen seulement, une aristocratie d’intelligence pourrait s’établir. Pour l’application de ces principes et le détail de ces réformes, il eût renvoyé peut-être à une brochure inédite qui devait paraître en 1864, la même année que Maître Guérin. On y verrait un système d’élections à plusieurs degrés qui « ouvrirait un débouché considérable aux ambitions légitimes. » Par ce système, « tous n’arriveraient pas au sommet, mais tous pourraient espérer d’y arriver, et du moins chacun serait assuré de s’élever selon son mérite sans rencontrer d’autre obstacle que le mérite de ses concurrens. » Voilà bien le cul-de-sac percé, comme le demandait Giboyer; voilà cette aristocratie fondée sur le mérite personnel.

Le titre de la brochure et le nom du publiciste ? La Question électorale, par Emile Augier. On voit que les espérances de Giboyer, en tant que désintéressées et généreuses, étaient celles de l’auteur. On s’en doutait déjà en 1861. Ce n’était pas pour rien que M. Augier, avant d’introduire le marquis d’Auberive sur la scène comme le représentant des « anciens partis, » nous avait prévenus contre « ce petit vieux paradoxal, pointu et pointilleux, cet ennemi personnel de l’égalité, ce détracteur narquois de notre révolution. « Non qu’ensuite il n’eût pris soin de relever son caractère dans notre estime : par un artifice d’impartialité qui vaut que nous le signal ions, il avait voulu que la personne du marquis fût digne de respect et ses idées positives, sinon les négatives, dignes de haine ou de raillerie, comme il avait voulu que la personne de Giboyer fût méprisable et ses idées presque saintes. Cependant les défenseurs des « anciens partis » à cette époque avaient quelque droit de se donner pour plus amis de la liberté que le gouvernement qui autorisait la représentation d’une telle pièce, et l’autorisation, à leurs yeux, était presque un patronage, ils refusèrent d’accepter pour les leurs les idées étroites, les regrets attardés et le