Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle, regardant l’homme en face, répondit,
Très calme : « Bien à tort ici j’étais venue,
Puisque tu ne m’as point dès l’abord reconnue,
Diane... N’es-tu pas saint Hubert? — Tu l’as dit. —

— Certes je m’attendais à plus de courtoisie
De ta part... je pensais qu’on était moins brutal
Quand on vit à la cour de Pépin d’Héristal...
— Pardon, je vous croyais, dans vos forêts d’Asie,

Morte depuis longtemps... et, je ne sais pourquoi,
J’avais cru voir en vous une reine burgonde...
Jamais ciel n’éclaira plus merveilleuse blonde.
Je tombe à vos genoux divins... Pardonnez-moi.

Daignez clairement lire au fond de ma pensée.
Je veux dire à la vie un éternel adieu...
Humblement saint Hubert lui tendit son épieu,
Tournant la pointe au cœur : « Frappez, reine offensée ! »

Elle hésita d’abord... A voir ces beaux yeux francs
Arrêtés sur les siens, ses sourcils se froncèrent...
Puis le courroux tomba... ses regards se baissèrent
Devant le fier chasseur de la tribu des Francs.

Saint Hubert était fils du grand duc d’Aquitaine...
A l’heure solennelle où le jour disparaît,
Diane et lui rentraient tous deux dans la forêt.
Gravement, lui très humble, elle un peu moins hautaine.

Et les suivant de loin, mais sans bruit, ce soir-là,
En se parlant tout bas, les deux meutes mêlées
Perdirent leur chemin par de sombres allées,
Car le dernier croissant de lune se voila.


ANDRE LEMOYNE.