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tous les concours, mais ne cherchent aucune alliance. Séparés de leurs alliés d’hier, ils ne font aucun fond sur leurs alliés d’aujourd’hui, dont ils n’ont à attendre, au lendemain d’un appui éphémère et d’applaudissemens intéressés, que le renouvellement des outrages d’autrefois. Leur plus grande force pour le moment et leur plus sûr espoir pour l’avenir sont dans l’exemple qu’ils donnent d’un libéralisme ferme et sensé, inaccessible à tous les entraînemens et toujours fidèle à lui-même.

Ce ne sont point toutefois de purs idéalistes. S’ils obéissent avant tout à leurs convictions, ils sont loin d’être indifférens aux considérations « d’opportunité » et de « possibilité, » entendues dans le meilleur sens, et ils peuvent mieux que leurs contempteurs y trouver de sérieux argumens pour la justification de leur conduite. Si on leur dit que leur opposition à des ministères relativement modérés peut avoir pour effet l’avènement de ministres radicaux, ils répondront qu’une politique équivoque est la pire des politiques, et que la cause même de la sagesse est plus sûrement compromise par de soi-disant modérés, qui ne se soutiennent qu’à force de concessions aux partis extrêmes, que par de francs radicaux qui peut-être sentiraient le besoin de faire à leur tour des concessions aux partis moins avancés, ou qui, du moins, s’ils ne voulaient rien retrancher de leur programme, finiraient par lasser la patience du pays et par provoquer une réaction salutaire. Et si l’on ajoute que cette réaction pourrait bien emporter la république elle-même, la réponse est encore facile, car le plus grand danger pour la république serait précisément l’absence ou l’impuissance d’une réaction franchement républicaine : rien ne serait plus propre à favoriser une restauration monarchique que la disparition ou le silence d’un groupe, si petit qu’il soit aujourd’hui, de républicains conservateurs et libéraux, autour duquel peuvent du moins se grouper tous ceux qui sentiront le besoin de s’arrêter sur la pente du radicalisme sans se laisser entraîner sur la pente, non moins périlleuse, d’une révolution nouvelle.

En vain opposerait-on aux justes espérances des « dissidens » leur impopularité présente. Ils savent qu’on revient d’une impopularité plus grande encore. Qui a été plus impopulaire que M. Thiers? Il était en 1835 « l’homme des lois de septembre; » en 1850, « l’homme de la rue de Poitiers, » le promoteur de la loi du 31 mai, l’insulteur de la vile multitude, et, en 1860, il ameutait à la fois contre lui les partisans de l’empire, alors à l’apogée de sa puissance, et les républicains, qui ne lui pardonnaient pas d’ajouter à leurs anciens griefs la défense obstinée du pouvoir temporel de la papauté. Quel revirement en peu d’années! Qui a été plus populaire