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mettre à la place ; l’autre ne se confie que dans les solutions les plus radicales sous la double forme du jacobinisme ou de l’anarchie. La sagesse politique, aujourd’hui comme hier, est dans le programme conservateur et libéral de M. Thiers et de l’ancien centre gauche; dans le maintien d’une république « habitable, » où tous les droits trouvent protection, où les intérêts de tout genre ne soient pas sans cesse menacés par de prétendues réformes, où toutes les tentatives de désordre soient énergiquement et sûrement réprimées, où enfin la France, sans menacer personne et sans s’humilier devant personne, sache rester fidèle aux traditions nationales qui, dans les revers comme dans la prospérité, ont assuré son influence et son bon renom au dehors.

Tels sont les principes sur lesquels refuse de transiger le petit groupe de « dissidens » dont M. Jules Simon est le chef. Ce ne sont ni des monarchistes ni des cléricaux, quoiqu’ils se rencontrent souvent dans leurs votes avec les partisans des dynasties déchues et les défenseurs de certaines prétentions du clergé, justement odieuses à la société moderne. Ce sont des républicains et des libéraux, pour qui la république et la liberté sont le patrimoine commun de tous les Français, non le privilège d’une secte ou d’un parti. « Nous ne sommes, dit M. Jules Simon, les champions ni des congrégations non autorisées, ni des congrégations autorisées, ni de l’église catholique, ni d’une église quelconque : nous n’avons à cœur que la liberté. »

Les « dissidens » sont sans influence à la chambre des députés, où le nom même du centre gauche a disparu. Ils ont plus d’une fois entraîné les votes du sénat, en réveillant les scrupules de quelques-uns de leurs anciens amis qui gardent avec eux beaucoup de convictions communes. Ils sont heureux, pour le bien et pour l’honneur du pays, de ces succès passagers : mais ils n’ont personnellement à en recueillir qu’un redoublement d’injures. La plus absurde de ces injures est certainement celle d’une ambition sans pudeur, adressée à des hommes qui, par fidélité à leur conscience, ont tout fait pour se rendre impossibles. L’accusation d’intrigue n’est pas moins ridicule. Lors même que leur caractère ne protesterait pas contre cette accusation, leur clairvoyance, que l’on veut bien ne pas mettre en doute, en montrerait suffisamment l’inanité. Ils comprennent trop bien toute l’étendue du mal dont nous souffrons pour croire à la possibilité de le guérir par quelque manœuvre parlementaire. Ils comptent assurément sur un retour de patriotisme et de bon sens dans le parlement et dans le pays; mais ils sont sans illusions sur les chances d’un changement prochain et ils craindraient de le compromettre en voulant le précipiter. Ils acceptent