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de lui ouvrir ses rangs. Il est réduit à fonder, avec le concours de l’extrême gauche, le groupe radical de l’union républicaine[1]. M. Gambetta s’était-il, depuis lors, sensiblement rapproché des idées modérées? Il a donné en plus d’une circonstance des preuves de sagesse et de sens politique. Il a eu une part considérable dans le vote de la constitution de 1875. Il s’est fait le champion de l’institution du sénat, non cependant sans chercher à l’amoindrir. Il a fait face, avec plus de courage que beaucoup de modérés, aux violences des fauteurs de désordre. Il n’a toutefois rien désavoué de ses plus funestes erreurs, et il en a jusqu’au dernier jour commis de nouvelles. C’est lui qui a lancé ce cri de guerre qui a été le signal des entreprises contre la liberté et la paix des consciences : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi! » C’est lui qui a été le promoteur de l’amnistie plénière pour les condamnés de la commune. C’est lui qui a ouvert la campagne pour la révision de la constitution et qui ensuite a fait d’impuissans efforts pour la limiter. Nous ne rappelons pas ses fautes pour protester contre les hommages qui ont été rendus à sa mémoire. Il les méritait par une éloquence qui a honoré la tribune française et qui s’est mise plus d’une fois au service de nobles et justes causes. Il ne les méritait pas moins par un patriotisme qui a eu sans doute de déplorables écarts, mais qui, avant ces écarts, avait eu l’initiative de ce suprême effort de la défense nationale par lequel la France vaincue, mutilée, séparée de sa capitale, s’est noblement relevée à ses propres yeux comme aux yeux de l’étranger. Nous ne voulons que rapprocher deux faits que sépare à peine un intervalle de six ans. En 1883, des modérés, des conservateurs ont cru de bonne foi, et non sans quelque fondement, voir disparaître avec ce tribun, qui n’avait pas cessé d’être un tribun, le dernier espoir d’une politique de résistance : en 1877, une sorte de coup d’état était tenté, un appel désespéré était fait à toutes les forces conservatrices pour assurer le renversement d’un ministère Jules Simon et pour empêcher le retour d’un ministère Dufaure!

La troisième république, comme tous les gouvernemens antérieurs depuis 1789, a vu échouer misérablement, après un triomphe éphémère, la politique de libéralisme modéré. Y a-t-il donc, en dépit de la maxime que nous rappelions en commençant, incompatibilité absolue entre la France et le centre gauche? ou faut-il ne voir, dans cette série d’avortemens, que ces alternatives de brouilles

  1. M. Jules Simon place la fondation de l’union républicaine en 1876. C’est une erreur. Elle a suivi de très près les élections du 2 juillet 1871. Ce n’est pas le seul point sur lequel ses souvenirs l’aient mal servi. Ainsi il fait entrer dans le ministère présidé par M. Dufaure en 1876, M. Wallon, qui avait fait partie du ministère Buffet en 1875 et avait été remplacé, sous M. Dufaure, par M. Waddington.