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des radicaux, sans rien leur abandonner de son programme. Ils ont bien pris leur revanche depuis qu’il ne s’agit que de la gouverner.

Ce n’est pas que les purs radicaux aient jamais eu la responsabilité directe et personnelle du gouvernement de la république. Les ministères se sont formés en se rapprochant d’eux sans aller jusqu’à eux. On est passé du centre gauche à la gauche et de la gauche à l’union républicaine, qui était à l’assemblée nationale et qui est encore au sénat le groupe radical, mais qui aujourd’hui a devant elle, à la chambre des députés, deux groupes plus avancés : la gauche dite radicale et l’extrême gauche. Lors même qu’on irait jusqu’à cette dernière, telle qu’elle est constituée dans le parlement, on trouverait dans le pays un nombre presque infini de groupes plus avancés encore. C’est ce que M. Jules Simon appelle « l’armée de réserve, » dont les différens corps occupent et défendent, les uns par des manifestations plus ou moins pacifiques, les autres sans reculer devant les plus criminels attentats, toutes les étapes sur la route du « nihilisme. » La multiplicité même des groupes radicaux, dans le parlement et dans le pays, est une de leurs forces. Les uns se font payer par des concessions de plus en plus larges un concours partiel et toujours précaire, et les réclamations bruyantes des autres sont un prétexte à ceux qui se piquent encore de modération pour accepter ces actes de faiblesse comme la poursuite sage et prudente d’une politique de progrès. Les radicaux de toute nuance sont les seuls qui parlent haut, les seuls qui se montrent exigeans, et dont les exigences obtiennent satisfaction. Les modérés, les anciens libéraux du centre gauche et de la gauche parlementaire se résignant pour la plupart, les uns de bonne grâce, les autres après une courte résistance, à des mesures qu’ils auraient hautement condamnées il y a cinq ans. Ils se taisent quand il s’agit d’actes administratifs, pour lesquels leur adhésion n’est pas nécessaire. Ils se font un mérite des tempéramens qu’ils s’efforcent d’introduire dans de mauvaises lois, et ils ne doutent pas de leur courage quand ils s’exposent, par ces tempéramens, aux invectives des radicaux. Ils tiennent à honneur de se distinguer de ces compromettans alliés par leurs déclarations, alors même qu’ils les suivent docilement dans leurs actes. Comme leurs prédécesseurs de la révolution, ils ne s’associent à une persécution religieuse qu’en protestant de leur respect pour la religion, à une violation de la liberté qu’en affirmant leur libéralisme, à un affaiblissement de l’autorité qu’en se défendant de toute complaisance pour le désordre. Leurs efforts ne s’emploient le plus souvent qu’à retarder par d’habiles manœuvres les solutions qui leur répugnent. La politique de modération a d’ailleurs plus à perdre qu’à gagner aux amendemens et aux ajournemens proposés par les soi-disant modérés. Les demi-mesures ne font que provoquer