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d’étendre la main pour saisir un objet j’affirme et signifie l’existence au moins apparente de cet objet, avec mon désir de l’obtenir. En général, quand je me meus dans une direction déterminée, ce mouvement affirme l’idée de l’espace où il se produit et du but auquel il tend. Il en est de même de toute altitude et de toute forme sensible. On peut dire, en un sens scientifique, que la tête penchée de l’animal regarde et affirme la terre, à laquelle il ramène tous ses appétits ; la tête levée de l’homme affirme l’univers, qu’il interroge du regard, mesure de la pensée, embrasse du désir. Aussi Socrate disait-il que chaque action est une « définition » bonne ou mauvaise, c’est-à-dire que nous déterminons indirectement par notre conduite les qualités ou la nature des choses, telles qu’elles apparaissent à notre intelligence ; « nous classons ainsi les choses en pensées et en actes. » Si, par exemple, l’objet vers lequel j’étends la main n’est pas à moi, je le définis pourtant et le classe par mon action comme s’il était ma propriété, ou du moins comme si mon désir était supérieur à tout droit de propriété ; j’en donne ainsi ou je donne de mon désir une définition symbolique qui est fausse, puisque j’altère les vraies relations qui existent entre l’objet et moi. On sait ce que répondit Socrate un jour qu’on lui demandait une définition de la justice : « Ne l’ai-je pas suffisamment définie par mes actes ? » Et, en effet, la vie tout entière du juste est une définition sensible de la justice. Nous pouvons donc poser ce principe important, trop négligé par les écoles contemporaines : l’action morale réalise ou affirme symboliquement une certaine relation entre nous et les autres êtres.

Maintenant, voici le point essentiel. L’acte moral est-il un symbole semblable aux autres, qui exprime seulement des baisons ou lois particulières, objet de « science positive » et de vérification expérimentale ? Est-ce un symbole purement scientifique et sans rapport avec ce qu’on nomme la métaphysique ? Ou, au contraire, la moralité, loin de se ramener tout entière à des connaissances positives, n’implique-t-elle pas encore et ne traduit-elle point en signes visibles certaines affirmations métaphysiques, tout au moins certaines hypothèses que les positivistes de l’école anglaise et de l’école française ont également eu le tort de méconnaître ? — Tel est, selon nous, le problème qui se pose de nos jours. Chacun connaît les postulats de la morale spiritualiste : loi impérative, liberté, immortalité, divinité. La morale naturaliste n’a-t-elle point aussi les siens ? Hypotheses non fingo, disait l’auteur de la plus hardie des hypothèses, celle de la gravitation universelle ; le naturalisme moral parle volontiers comme Newton, et peut-être se fait-il illusion comme lui. Après avoir paru la voix même de Dieu, la conscience est représentée