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les rassemblemens se forment, la conversation s’engage, les querelles éclatent pour savoir quel est le chemin le plus court ; vous êtes déjà loin que vous entendez encore le bruit de la dispute qui continue; et, avec cela, partout ce charme inexprimable répandu sur le Midi !

L’enthousiasme républicain jette sa note au milieu de la description. — « Et maintenant, s’écrie-t-il après qu’il a dépassé Francfort, j’entrai dans la contrée où reposent les milliers d’hommes qui sont tombés en combattant pour et contre la liberté! Tout l’horizon ne forme qu’un vaste cimetière. Ici les Français ont battu la cavalerie de Clairfayt... »

A Francfort, il se trouve que le passeport du voyageur n’est pas en règle, de sorte qu’il est obligé de se rendre à Mayence pour obtenir le visa du préfet français. Il profite de l’occasion pour aller au théâtre de Mayence, qu’il trouve rempli de militaires de tout rang et de toutes armes. Sans se laisser déconcerter par la nouveauté du spectacle, en attendant le lever du rideau, le jeune homme s’entretient vivement avec les officiers et leurs femmes. On jouait le Médecin malgré lui; puis devait venir un opéra-comique. Mais tout à coup, dans l’entr’acte, la toile se lève et le régisseur s’avance, un papier à la main : « Le préfet Jollivet aux spectateurs du théâtre français. Le préfet vient de recevoir des rapports de Paris annonçant que les préliminaires avec l’Angleterre sont signés. Il a cru qu’il ne devait pas cacher un moment au public cette heureuse nouvelle. » Là-dessus éclatent les applaudissemens, les cris; les officiers s’embrassent. « Vivent les consuls ! vive la république ! » On demande l’air national, qui est joué par l’orchestre et chanté en chœur par la salle. « J’étais ému comme je ne l’ai encore presque jamais été; jamais je n’ai si bien éprouvé combien l’enthousiasme est contagieux. » A la fin de la pièce, un acteur s’avance : il a composé un petit couplet sur cet heureux événement. — Chantez-le, chantez-le, lui crie-t-on du parterre. L’acteur salue, tousse et commence à chanter, avec accompagnement d’un violon de l’orchestre, quelques antithèses assez légèrement rimées. On applaudit, on fait répéter, et tout le monde s’en retourne ravi à la maison.

Le préfet Jollivet, après quelques difficultés, s’est laissé fléchir, et Hase continue sa route vers Trêves. A Sierck, il franchit la frontière de l’ancienne France, et aussitôt il trouve les marques du génie national : l’aspect coquet de la petite ville, la gaîté des gens, l’arbre de la liberté sur la place publique, les beaux magasins avec les marchandises exposées de la manière la plus propre à les faire valoir. « Et si tu adresses la parole aux habitans, comme les réponses sont justes, fines, bien dites! Bref, tu es en France... »