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troupe d’une quarantaine d’écoliers qui allait au-devant de son nouveau maître d’école, qu’ils ne connaissaient pas encore, et qui me demanda tout d’une voix si je n’avais pas vu en route un attelage, c’est-à-dire une voiture. L’étape avait été longue ; mon sac me pesait. Je fus tenté un moment de me faire passer pour l’instituteur. Après tout, qu’on fasse la classe en Thessalie ou en Thuringe, la différence est-elle bien grande ? L’important n’est-il pas d’avoir son repos et son pain ? Heureusement l’averse que je venais de recevoir m’avait rendu des forces. Autrement la tentation l’eût emporté et je serais installé ce soir même dans mon logis. Car le vrai titulaire, je m’en serais débarrassé en le faisant passer pour un imposteur. »

Son chemin le conduit à travers le pays de Fulda, qui formait alors un petit état indépendant sous l’autorité de l’évêque. Il faut dire ici que Hase éprouve une véritable aversion pour tout ce qui rappelle la religion et le culte catholiques : les crucifix, les images des saints dans les auberges, les croix élevées le long du chemin lui font horreur. Même les jeunes filles, en ces pays de papisme, ne lui envoient pas de sourires. Les Bäbelis et les Peppelis de Fulda sont des créatures affreuses. Quant aux hommes, ils n’ont dans la tête que des histoires de voleurs et de supplices. On lui raconte l’exécution d’un juif coupable d’assassinat qui a été écartelé et dont les membres ont été suspendus aux arbres du chemin : des détails de nature superstitieuse et mythique se mêlent au récita « Et ce n’est pas au moyen âge que cela s’est passé : j’ai appris avec douleur que peu d’années nous séparent de l’événement. Nulle part je n’ai entendu parler con amore des cruautés de la justice comme dans le pays de Fulda. L’homme ne se peint pas seulement dans ses dieux, mais aussi dans ses histoires favorites. »

Le troisième jour, il croit qu’il ne pourra résister à la fatigue. Dans un village, il est pris d’un frisson ; tout son corps se met à trembler. Très découragé, il croit qu’il va commencer une maladie. « Le peu de nourriture et de sommeil, la fatigue, avaient fait de moi un vrai chevalier de la triste figure. Je fus effrayé en me voyant dans la glace. Je pensai à ce que je ferais si je tombais réellement malade. Un empereur de Constantinople disait aux Huns : « Je n’ai pas l’or que vous réclamez de moi, mais j’ai du fer pour mettre fin aux tortures que vous me causez. » Je pouvais dire la même chose à ma maladie, et, je ne le nie pas, je jetai un regard d’espoir du côté de mon sabre. » Heureusement les choses n’en vinrent pas là : une nuit de bon sommeil répara ses forces.

Avec son accoutrement, son air délibéré, on le prenait pour un Français. Les opinions étaient seulement partagées sur le point de savoir si l’on avait affaire à un émissaire de la république ou à un