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montra beaucoup de dévoûment à la cause de l’empereur. Melfi se défendit donc énergiquement, mais une de ses portes fut à la fin livrée par trahison. Là comme à Andria, Lautrec, voulant inspirer la terreur à la contrée voisine, mit la ville à sac et passa au fil de l’épée une partie de la population et de la garnison. Les Espagnols revinrent bientôt après, et leurs représailles furent terribles à l’égard des soldats français laissés dans la place, ainsi que de ceux des habitans que l’on désignait comme partisans de la France et que l’on soupçonnait d’avoir pris part au complot qui avait livré la ville. C’est là ce que rappelle l’inscription du pilier des prisons de Melfi. L’offensé qui proclame qu’on ne l’aura pas impunément troublé dans son repos est l’Espagnol, possesseur du pays par un droit qu’il tient pour légitime. Il y a donc une certaine probabilité à ce que le pilier dont nous parlons ait alors servi de gibet et vu l’agonie de quelques-unes au moins des victimes des vengeances qui suivirent le passage des Français.

La Melfi actuelle n’a pas d’industrie ; les quelques gens de métier qu’on y compte sont pour la plupart en même temps cultivateurs. Tout son commerce, qui a une certaine activité, consiste en produits agricoles des campagnes environnantes. Comme les autres villes de la Pouille, surtout celles qui se trouvent situées dans l’intérieur des terres et ne sont pas en même temps ports de mer, celle-ci n’est habitée que par des propriétaires ruraux, presque tous nobles, car il n’y a pas à proprement parler de bourgeoisie, et par des paysans, simples ouvriers agricoles d’une condition fort misérable, qui chaque matin partent avant l’aube pour aller travailler dans les champs, souvent à plusieurs lieues de distance, et ne reviennent qu’au coucher du soleil. Rien de plus pittoresque que le spectacle qu’offre à la brune la rue du faubourg, au moment de leur rentrée. Hommes et femmes remontent alors en troupes d’un pas lent et fatigué, portant sur l’épaule la houe et la bêche avec lesquelles ils ont foui le sol, et sur leur tête des paniers de grains ou de fruits, ou bien des bottes de verdure destinée à la nourriture des animaux, poussant devant eux de petits ânes alertes qui trottinent surchargés de légumes, de corbeilles de vendange, de sacs de grain, de fagots coupés dans les bois voisins. Quelques-uns de ces paysans portent dans leurs bras les petits enfans qu’ils ont emmenés dans les champs et se penchent sur eux avec une touchante expression de tendresse. D’autres enfans, un peu plus grands, laissés à la maison, accourent au-devant de leurs parens et se jettent à leur cou avec des cris joyeux qui se mêlent au meuglement des vaches et au bêlement des moutons que les bergers ramènent de la pâture, aux aboiemens de leurs chiens et au tintement des grosses clochettes de