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de la presque totalité de la Pouille et d’une portion de la Basilicate. Mais bientôt la discorde éclata parmi ceux qui avaient obtenu ensemble ces grands résultats. Ardoin, comme avant lui Melo, était un patriote lombard qui voulait rétablir l’indépendance et la souveraineté de son peuple dans la Pouille et y reconstituer une principauté pareille à celles de Capoue et de Salerne, quitte à se débarrasser ensuite des aventuriers étrangers qui l’avaient aidé à cette tâche. Les Normands, qui formaient le nerf de l’armée, prétendaient de leur côté n’avoir pas une autre fois, comme en Sicile, combattu pour n’en avoir pas le profit ; ils voulaient « gaigner terres » et étaient bien résolus à garder pour eux-mêmes leur belle conquête. Ils se débarrassèrent d’Ardoin, rompirent avec ses Lombards, et à l’égard des habitans jetèrent le masque de libérateurs pour agir franchement avec toute la brutalité de conquérans. En 1043, ils se réuniront en parlement général à Melfi et y procédèrent au partage féodal du pays. Chacun des douze comtes devint seigneur d’une ville et les simples chevaliers eurent en fiefs des châteaux et des maisons. D’une commune voix, on décida de confier le commandement général à un guerrier de race normande, et Guillaume Bras-de-Fer fut élu « comte des Normands de la Pouille. » Ce titre, du reste, ne lui donnait que le droit de commander l’armée à la guerre, de présider les assemblées de la nation et de posséder, outre sa ville propre, celle de Melfi, qui devenait comme la capitale de la république aristocratique créée par les chevaliers normands.

La règle féodale n’admettait « pas de possession sans seigneur, » et d’ailleurs les Normands sentaient le besoin d’appuyer sur une puissance plus forte leur établissement encore naissant, à la destruction duquel les Grecs devaient consacrer de grands efforts. Ils cherchèrent donc à se donner un suzerain dont chaque comte, à titre égal, reçut une investiture régulière. Il la demandèrent d’abord en 1043 à Guaimar, prince de Salerne, puis en 1047 à l’empereur d’Occident Henri II, enfin en 1053 au pape Léon IX, après la bataille de Civitate, sans s’inquiéter du conflit qui pouvait résulter entre ces différentes suzerainetés adoptées successivement. Cependant leur position restait précaire et semblait même fortement menacée. Guillaume mort en 1047, son frère Drogon avait été élu à sa place, mais bientôt, à son tour, il était tombé en 1051, à Montolio, sous le poignard d’un assassin. Le même jour, un certain nombre de chevaliers normands étaient également massacrés dans leurs fiefs. C’était l’effet d’une vaste conspiration ourdie sous les auspices du duc Argyros, fils de Melo et réconcilié avec les Grecs, qui de Bari en dirigeait les fils. Les Lombards du pays, déçus de l’espoir qu’ils avaient mis d’abord dans les Normands, s’étaient