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drapeaux de l’empereur grec, alors souverain des Pouilles, de la Basilicate et des Calabres.

Le catapan Georgios Maniakis préparait une expédition contre les Arabes de Sicile. Déjà les Byzantins avaient plusieurs fois loué les services de capitaines de la Normandie, et dans l’Italie méridionale ils avaient éprouvé à leurs dépens ce que valait le bras de ces guerriers que Boyoannis n’avait pu vaincre qu’en leur opposant sur le champ de bataille de Cannes d’autres Northmans, des Varanges ou Varègues venus directement de la Scandinavie. Maniakis engagea dans son armée une partie de ceux qui étaient à la solde du prince de Salerne, et les fils de Tancrède de Hauteville furent du nombre. Avant d’entrer en campagne, ils demeurèrent quelque temps cantonnés dans la Pouille. Là non seulement ils virent de près la mauvaise organisation des troupes impériales, ramas confus de mercenaires de toute origine sur la fidélité desquels il n’y avait à faire aucun fond, mais ils furent frappés du degré d’imprévoyance avec lequel le général grec, qui lui-même méditait une révolte contre son souverain, dégarnissait une province remplie de mécontens. Dès lors le projet de se rendre maîtres de cette belle et fertile contrée germa dans leur esprit.

Pendant toute la guerre de Sicile, le poste le plus périlleux fut réservé aux aventuriers normands. Les Grecs leur durent leurs principaux avantages et les traitèrent avec de grands égards tant qu’ils eurent besoin de leurs services. Mais après la prise de Messine et celle de Syracuse, où Guillaume Bras-de-Fer tua de sa main le principal caïd des Arabes, lorsque l’armée impériale eut conquis une grande partie de l’ile et que la guerre parut finie, les chevaliers de Normandie réclamèrent vainement leur part du butin. Un Lombard de Milan, nommé Ardoin, leur interprète, fut, par ordre du catapan, dépouillé de ses habits, rasé, puis battu de verges autour des tentes. La vengeance suivit de près l’injure. Dès la nuit suivante, les Normands traversèrent le détroit de Messine sur des barques de pêcheurs et abordèrent en Italie. On était au cœur de l’hiver; la neige couvrait toutes les hautes montagnes de la Calabre et de la Basilicate, et les torrens gonflés par les pluies inondaient les vallées. Cependant, comme le moindre retard pouvait tout compromettre, les chevaliers traversèrent le pays en dépit de tous les obstacles et résolurent, malgré la saison, d’attaquer immédiatement la Pouille, où Ardoin se faisait fort de provoquer un soulèvement à leur apparition. Ils en firent leur général, et celui-ci, s’arrêtant quelques jours à Aversa, y appela près de lui les aventuriers normands qui étaient restés à Salerne, eux au service de l’abbaye du Mont-Cassin, et tous les Lombards disposés à partager ses périls et fortune. Rainulfe leur