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à travers tout, parfois avec le concours direct ou indirect du gouvernement lui-même pour annuler ou neutraliser le sénat dans son rôle constitutionnel. On parle du régime parlementaire! Qu’on prenne donc garde à la manière dont on le pratique, qu’on se rappelle un peu ce qui s’est passé depuis quelques années. Toutes les fois que le sénat a voulu élever une voix indépendante, il a été menacé dans son existence. S’il a voulu voter un amendement au budget, on lui a renvoyé le budget sans s’inquiéter de ce qu’il avait fait et on lui a même donné à comprendre qu’à la prochaine révision, on réduirait pour le moins ses attributions financières. S’il a inscrit dans la loi sur l’enseignement quelque garantie libérale ou morale, on n’a tenu compte de ses vœux pourtant bien modestes. Un jour, il refuse de voter cet article 7 par lequel M. Jules Ferry a débuté dans sa carrière de réformateur : aussitôt on lui répond par les décrets de haute police expulsant sommairement les communautés religieuses. Hier encore il a la libérale prévoyance de refuser son concours à des mesures d’exception : sur-le-champ, comme par une bravade, on lui répond par le décret qui frappe les princes de retrait d’emploi. Et dans ce ministère même qui vient de se former quels sont les sénateurs appelés à partager le pouvoir ? Ce sont ceux qui ont voté avec la minorité. C’est là ce qu’on entend par la république parlementaire.

Que résulte-t-il de cet étrange système, de cette dérision de régime constitutionnel? La conséquence évidente, nécessaire, c’est cette situation graduellement amoindrie et altérée où tout est à peu près impossible, où les ministères qui sortent au hasard de la mêlée des partis, faute d’oser chercher une certaine force dans le sénat, se condamnent eux-mêmes à suivre la chambre des députés dans toutes ses fantaisies, à servir ses passions, à flatter ses manies réformatrices ou persécutrices. On va ainsi tant qu’on peut; jusqu’ici on n’est pas allé bien loin ni longtemps. Voilà dans quelles conditions le cabinet nouveau arrive à son tour au pouvoir et ce qui fait justement sa faiblesse. Oh! nous le savons bien, M. Challemel-Lacour, M. Waldeck-Rousseau ont la prétention d’être des hommes d’autorité et de gouvernement, bien entendu, dans l’intérêt et au nom de la république. lis ont plus d’une fois, et récemment encore, revendiqué les droits du pouvoir exécutif. M. Jules Ferry lui-même, dans son programme, n’a pas craint de faire entendre à la chambre un certain nombre de vérités qui, pour n’être pas nouvelles, sont toujours utiles. Il a cherché à lui faire sentir le danger « des questions irritantes et des débats stériles, » qui pourraient finir par donner « à la république la fausse apparence d’un gouvernement agité et provisoire. » Il a vanté les mérites de la stabilité ministérielle. Il a parlé de bien d’autres choses, « d’une administration forte et respectée, d’une république parlementaire reposant sur ces trois choses essentiellement françaises : le bon sens, le travail et le