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frapper d’un blâme ce chef militaire; celui-là n’était pourtant pas prince, il n’avait d’autre titre que d’être général depuis vingt ans, d’avoir promené ses étoiles sur tous les champs de bataille et de compter autant de blessures que de campagnes. Ce qui est arrivé à M. le général Brincourt peut arriver à d’autres, de même que le retrait d’emploi qui a frappé les princes peut atteindre d’autres officiers. C’est l’invasion de l’arbitraire, de la politique de parti dans les affaires de l’armée, et c’est là justement ce qu’il y a de redoutable. Le ministère a cru sans doute que, puisqu’il ne s’agissait que des princes, il pouvait se passer le luxe d’un coup d’autorité assez mesquin, et qu’en faisant ainsi la part des fantaisies de proscription et d’exclusion de la chambre, il avait la chance de se créer des alliés, de s’assurer la majorité dont il a besoin. Il ne s’est pas aperçu qu’il se livrait d’avance au contraire, qu’il se chargeait en naissant du fardeau d’une iniquité de parti et qu’au lieu de fortifier sa situation, il la compliquait, il la diminuait par une faiblesse, par une indigne rançon payée à l’esprit d’agitation.

Non, certes, le nouveau ministère, parce décret qui illustre particulièrement désormais M. le général Thibaudin, ne s’est pas créé une force, une autorité morale et n’a pas fait une brillante entrée dans la vie. Il a mis sur son origine la marque ineffaçable d’une violence inutile, et il a une faiblesse plus difficile à saisir, à préciser, qui ne tient pas, si l’on veut, à ce premier acte, ni même à des divisions toujours possibles entre ceux qui le composent, — qui est inhérente à une situation générale dont il aura de la peine à triompher. La vérité est qu’on parle sans cesse de régime parlementaire, de république parlementaire, et qu’il n’y a rien au monde de moins parlementaire que cette situation où les partis n’écoutent que leurs passions et leurs fantaisies, où tout se dissipe en débats stériles à travers lesquels les ministères passent comme des ombres, où le désordre est partout et la direction nulle part.

Ce que nous avons réellement depuis quelques années, ce n’est pas le régime parlementaire, c’est l’omnipotence troublée et tracassière d’une chambre que M. Jules Ferry, pour lui complaire, appelait l’autre jour réformatrice et qui est visiblement impuissante à concevoir une réforme sérieuse, qui est perpétuellement occupée à revendiquer une initiative, une prépondérance qu’elle ne sait pas exercer et à fausser tous les ressorts constitutionnels. Vingt commissions sont à l’œuvre pour une réforme universelle : de tout cela que sort-il? Rien ou à peu près : des projets sur la magistrature où l’on ne se reconnaît plus, des propositions Laisant sur l’armée, des propositions Floquet mettant pendant un mois la chambre en combustion, des propositions de révision constitutionnelle qui promettent pour l’avenir. Quel pouvoir sérieux peut se fonder et durer dans cette confusion? Et ce qu’il y a de plus étrange, de plus caractéristique, c’est la campagne permanente poursuivie