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et qu’il applique à sa façon pour la nécessité des circonstances. D’un autre côté, les princes qui viennent d’être frappés avaient-ils donné des griefs par leur conduite, par leur attitude, par leur négligence dans le service ? Ils ne sont pas apparemment de si mauvais officiers puisqu’ils sout présentés depuis plusieurs années pour l’avancement; ils sont assez occupés de leurs devoirs pour que M. le général Billot n’ait point hésité récemment à rendre témoignage de la correction de leur conduite; et cette correction, cet esprit militaire, ne viennent-ils pas d’éclater une fois de plus dans la dignité tranquille avec laquelle M. le duc de Chartres a reçu le coup qui le frappait? Mais M, le ministre de la guerre n’a pas besoin de tant d’explications, il n’a pas à entrer dans ces détails. Il lui suffit de constater, selon ses lumières, que « l’opinion publique s’est émue des inconvéniens que présente le maintien, dans l’armée, d’officiers faisant partie des familles qui ont régné en France. » Il a découvert, il est persuadé que « les grands principes de la subordination militaire et de l’unité de discipline pourraient se trouver amoindris par suite de la présence à la tête des troupes d’officiers à qui leur naissance a créé une situation exceptionnelle... » En d’autres termes, les chefs de l’armée ont voulu jusqu’ici exclure la politique des causes de la mise en retrait d’emploi des officiers, M. le ministre de la guerre d’aujourd’hui écarte toutes les causes définies, constatées, légitimes pour ne retenir que la politique. Il était réservé à M. le général Thibaudin d’inaugurer ce nouveau système auquel n’ont voulu se prêter ni M. le général Billot, ni, à ce qu’il paraît, M. le général Campenon, de s’affranchir d’une tradition militaire de cinquante ans, de faire revivre sous une pression de parti l’arbitraire que les ministres d’autrefois s’efforçaient de limiter.

C’est là ce qu’il y a de significatif et de menaçant dans le décret du 23 février comme dans le rapport qui précède ce décret. Et qu’on ne dise pas qu’il ne s’agit que de quelques princes mis hors du service actif, que des mesures de ce genre sont nécessairement exceptionnelles, qu’elles ne peuvent atteindre les autres membres de l’armée dont la position et les droits seront respectés. Qu’en sait-on? Ce qui est certain, c’est que la brèche est faite dans l’autorité traditionnelle de la loi, la porte est ouverte. Qui fixera le degré où il faudra que l’opinion publique soit émue, selon le mot du général Thibaudin, pour que d’autres officiers soient à leur tour victimes de circonstances imprévues? Qui sera juge du cas où il pourrait y avoir des inconvéniens dans la présence de tels ou tels officiers à la tête des troupes? Il n’y a que quelques jours, des dénonciations politiques ont signalé à M. le ministre de la guerre un des chefs les plus brillans de l’armée pour un fait insignifiant qui ne mettait certes pas en péril la république, et M. le ministre de la guerre n’a pas craint de déplacer, de