Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette situation en y introduisant de ses propres mains un acte de violence et d’arbitraire. La rançon payée cette fois au radicalisme, c’est ce retrait d’emploi proposé, par M. le ministre de la guerre, prononcé par M. le président de la république contre trois princes, M. le duc d’Aumale, M. le duc de Chartres, M. le duc d’Alençon, frappés à leur poste, dans leur état d’officiers. Le ministère, s’il y tient, peut triompher : il a illustré sa naissance; il a trouvé la solution victorieuse dans une ruse de légalité ! Les esprits importunés de tant de bruit depuis un mois et impatiens de se rassurer peuvent se hâter de dire qu’il n’y a plus rien à faire, qu’on a eu tort peut-être, mais qu’enfin la question est réglée, liquidée, qu’il n’y a plus à y revenir. C’est possible; oui, sans doute, la question est tranchée, et la pire des choses pour la considération du gouvernement, pour la dignité publique, c’est qu’elle est tranchée d’une façon détournée et cauteleuse : car enfin il faut parler sans détour. Cette question des prétendans, si imprudemment soulevée, elle ne valait certes ni tout le temps qu’on a perdu à la débattre ni tout le bruit dont elle a été le prétexte. En dehors de cette échauffourée des affiches napoléoniennes, qui a duré une matinée et qui n’a troublé personne, elle n’a créé aucun péril, le ministère d’aujourd’hui l’a déclaré après le ministère d’hier. Si elle avait cependant existé, si elle avait un instant pris un caractère dont des pouvoirs sérieux pussent se préoccuper, mieux valait encore, pour la dignité de tout le monde, la proposition de M. Floquet, comme l’a dit M. L’amiral Jauréguiberry dans un généreux et vaillant discours. La mesure eût été violente sans doute, gratuitement cruelle, et elle n’aurait pas servi la république; elle eût été du moins nette et franche; elle aurait passé pour ce qu’elle était, pour une mesure de guerre avouée, votée sans subterfuge et sans hypocrisie. Elle aurait tout décidé d’un seul coup! mais c’est assurément une médiocre politique d’aller chercher dans les ressources de la discipline militaire un dédommagement des mesures d’exception qu’on n’a point obtenues, de torturer une loi pour en faire sortir un de ces actes qu’on peut appeler une vilenie de gouvernement. On n’avait pas la faculté discrétionnaire d’expulser les princes, on ne pouvait pas les dépouiller de leur titre militaire, — on les retire du service actif! Le ministère n’a pas vu que, pour en venir là, il a dû commencer par violer la loi, que, pour frapper les princes, il atteint l’intégrité des droits de l’armée, que, pour se donner à lui-même ou pour donner à quelques-uns de ses amis la satisfaction d’une petite vengeance de parti, il a bravé une fois de plus sans péril et sans trop de courage le sénat, dont le vote a repoussé toute mesure d’exception.

Le nouveau ministre de la guerre, nommé et maintenu pour accomplir cette œuvre glorieuse, a, nous le savons bien, entrepris de prouver que rien n’était plus légal, qu’il n’avait même pas besoin de dispositions législatives nouvelles, qu’un bout de décret soumis à la signature