Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le monde. Voilà certes un mois bien employé et qui une fois de plus a servi éprouver que, dans ces situations depuis longtemps faussées, tout peut devenir rapidement périlleux.

Comment sortir de là? Comment refaire un gouvernement à demi sérieux dans des conditions devenues assez critiques, singulièrement aggravées par six semaines de confusions parlementaires ? Entre les deux chambres le dissentiment ne pouvait plus être pallié; il venait d’éclater par le vote du sénat repoussant définitivement toute loi d’exception, et ce qui avait survécu tant bien que mal jusque-là du cabinet Duclerc disparaissait nécessairement. Alors, à la dernière extrémité, est apparu un nouveau ministère, celui dont M. le président de la république a confié la formation à M. Jules Ferry, et la question maintenant est de savoir si ce ministère lui-même est un dénoûment, ce qu’il représente ou ce qu’il a l’ambition de représenter. M. Jules Ferry a voulu conserver dans sa combinaison quelques-uns des membres de l’ancienne administration, M. le ministre des finances Tirard, l’invariable ministre des postes, M. Cochery, — plus M. le général Thibaudin, appelé dans les derniers jours du précédent cabinet au ministère de la guerre pour faire la besogne qu’on méditait déjà contre les princes militaires et dont M. le général Billot n’avait pas voulu se charger. Le nouveau président du conseil, d’un autre côté, n’a point hésité à faire appel au concours d’hommes de talent du parti républicain, M. Challemel-Lacour, M. Waldeck-Rousseau, M. Martin-Feuillée. Il s’est réservé, quant à lui, la position de chef de cabinet avec l’intention d’en exercer les droits et les prérogatives, d’être le conducteur et le régulateur de la politique. Il a fait annoncer déjà qu’il entendait recevoir les généraux et les chefs de service, avoir l’œil sur tous les actes du gouvernement, sur les relations diplomatiques, sur le choix des grands fonctionnaires. Il a tenu à porter lui-même au sénat aussi bien qu’à la chambre des députés la déclaration par laquelle il a inauguré son nouveau consulat. En d’autres termes, M. Jules Ferry est parfaitement convaincu qu’il est appelé à relever le gouvernement dans le pays; il rêve modestement d’être le Casimir Perier de la république, ou, si l’on veut, sans remonter si haut, de reprendre plus habilement, plus heureusement le rôle de M. Gambetta avec la coopération de quelques-uns des amis de l’ancien président du conseil du Ik novembre.

A dire toute la vérité, la composition même du nouveau ministère, les conditions dans lesquelles il entre au pouvoir ne laissent pas d’inspirer quelques doutes. M. Challemel-Lacour, par la manière dont il parlait récemment de l’Europe et des chancelleries, par les souvenirs qu’il a laissés de son passage peu brillant à l’ambassade de Londres, par les habitudes d’un esprit froidement sectaire, s’est peut-être créé plus d’une difficulté au ministère des affaires étrangères. Il est plus habile, plus raffiné comme orateur ou comme lettré que comme diplomate