Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’art civilisateur par excellence, elle agit jusque sur la brute, pousse à l’enthousiasme les âmes les moins policées, et n’oublions pas que tout ce qui est donné à l’enthousiasme est gagné pour le patriotisme et pour les plus nobles sentimens, de quelque nom que vous les appeliez. En ce sens, un théâtre qui jouerait pour le peuple Guillaume Tell, les Huguenots, la Muette et la Vestale rendrait évidemment de grands services et je n’hésite pas à me déclarer en faveur de toute combinaison qui permettrait à l’Opéra populaire de puiser librement dans le répertoire classique de l’Académie nationale. Il est certain qu’il faudrait alors être en possession d’une troupe sérieuse et d’un matériel de premier ordre ; or tout cela coûte très cher, et comment supposer qu’un théâtre forcé de livrer ses places à prix réduits arriverait jamais à joindre les deux bouts ? Les subventions combinées du conseil municipal et de l’état pouvant seules rendre possible une pareille exploitation et cette condition étant pour le moment mise hors de cause, on ne voit guère quelle chance de s’établir conserve aujourd’hui l’Opéra populaire, à moins que l’industrie privée ne prenne tout sur elle, comme dans l’affaire de l’Éden-Theatre, ce qui me paraît d’aileurs peu vraisemblable.

À l’Académie nationale, un charmant début dans la reine Marguerite des Huguenots ; celui de Mlle Lureau, à la voix bien timbrée, très égale, et mordante, au geste sobre, à la démarche aisée, qui sait chanter et qui sait dire, en un mot, un des plus heureux produits de notre Conservatoire de musique et de déclamation. Dès la fin de ce délicieux second acte si varié, si rempli, si fouillé, où la vie dramatique circule à travers toutes les curiosités d’un bas-relief de Jean Goujon, Mlle Maria Lureau avait pris possession non pas simplement de son public, mais de la maison. On la sentait chez elle, et chacun s’attendait à la voir, sans interruption, reparaître dans les divers rôles du répertoire, si restreint qu’il soit maintenant. Il n’en a rien été ; nous ne savons pourquoi. Mais, prêtez au directeur de l’Opéra-Comique la chance d’un début tel que celui de Mlle Maria Lureau, et vous verrez les avantages qu’il en saura tirer et qu’il en profitera pour rajeunir aussitôt son spectacle, fût-ce avec des vieilleries comme Giralda.

La pièce date d’environ quarante ans, elle est de Scribe, mais si amusante, en dépit de tant d’ineptes imitations qu’on en a faites ! la musique est d’Adolphe Adam, mais si naturelle, si plaisante et même par endroits si émue, comme dans la romance du roi au troisième acte ! Vous me direz : « C’est de la musique qui ne tient pas à J’action ; ces couplets, ces duos, ces airs de bravoure, autant de papillons qui voltigent autour du sujet et butinent du mieux qu’ils peuvent, puis s’en vont, nous laissant derrière eux un agréable bourdonnement et très souvent même ne laissant rien du tout. » Adam ne