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que notre grand Opéra doit avant tout appartenir aux musiciens français, car c’est bien le moins encombrant des confrères que cet homme de génie.

Au fait, après toute cette algèbre wagnérienne, un peu de Mozart ne saurait nuire, et je conseille aux gens qui aiment à se débarbouiller avec de l’ambroisie d’aller, au sortir d’une lecture de Parsifal, entendre à l’Opéra-Comique les Noces de Figaro. Qu’on se rassure, je ne m’oublierai point à d’inutiles discussions en déplorant les travers de mon temps. Le temps est au philosophisme musical, au compliqué, au transcendant, soit, mais il se garde bien d’exclure le simple ; je n’en connais pas de meilleure preuve que la vogue dont jouit ce charmant théâtre qui trouve moyen d’avoir deux troupes excellentes au service de ses deux répertoires. S’il y a des directeurs toujours en passe d’être pris au dépourvu, M. Carvalho n’est pas de ce nomhre. Où l’étoile d’hier lui fait défaut, il en place une autre à l’instant. Mlle  Van Zandt s’absente, voici tout de suite Mme  Vauchelet dans Chérubin, et le public au lieu d’y perdre gagne au change une musicienne avisée et maîtresse de sa voix et de son style. Faire de l’argent avec Mozart, avec Méhul[1], heureuse chance ou plutôt rare mérite, car ces bonheurs-là n’arrivent qu’aux habiles et c’est être habile que de savoir combiner le grand art avec les grandes recettes. Notez que l’Opéra-Comique a son ancien répertoire à cultiver, qu’il lui faut jouer les maîtres vivans, accueillir les jeunes. Cet ancien répertoire si abaissé sous l’administration précédente on l’a relevé, restauré à ce point que la foule y revient, et pendant que les demi-dieux du passé : Auber, Boïeldieu. Hérold occupent l’affiche, on monte la Lakmé de M. Léo Delibes, on prépare la Perle du Brésil de Félicien David, la Carmen de Bizet, on pense à une Manon Lescaut de M. Massenet. La scène, les foyers, le petit théâtre son occupés par les répétitions : une ruche pour le mouvement et l’activité. Il est cependant un maître qu’on oublie trop, l’auteur des Noces de Jeannette. On avait parlé de reprendre les Saisons ; qui empêche que ce projet se réalise ? Il était aussi question d’une Cléopâtre, ouvrage destiné d’abord à notre première scène, mais dont s’accommoderaient les proportions musicales actuelles de l’Opéra-Comique élargi. Quoi qu’il en soit, Victor Massé mérite d’être mieux traité, et de ce que les Noces de Jeannette sont un de ces mignons chefs-d’œuvre comme on en faisait aux beaux jours de la Serva pardonna et du Déserteur, et comme, grâce à l’invention de l’opérette, on n’en fera plus, il ne s’ensuit point que

  1. À ceux qui se plaisent à lire de belle musique dans un beau texte, je recommande la nouvelle édition de Joseph publiée chez Heugel à l’occasion de la reprise, véritable édition de bibliophile par le luxe typographique et l’intéressant portrait de Méhul d’après Quénedey.