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nisme. Aux mysticités qui précèdent il fallait un violent contraste ; le voici. Le magicien attend Parsifal, que ses conjurations lui vont amener, et compte sur la plus endiablée de ses vierges folles pour consommer la perdition du trop candide jouvenceau. Il évoque Kundry, jadis la néophyte du Saint-Graal et désormais l’âme damnée de Satan :


Jadis filles du ciel, aujourd’hui de l’enfer,
Écoutez mon ordre suprême.
Il va venir vers vous un chevalier que j’aime…
Par vos charmes qu’il soit séduit.


Que de peines pourtant on se donne à réinventer Robert le Diable ! Cette Kundry, en qui se résument deux personnages contradictoires, servante à la fois du Saint-Graal et compagnonne du sorcier Klingsor, n’est pas seulement la plus indéchiffrable des énigmes dramatiques, elle est un mythe, une reproduction vivante des temps où vécut le Christ. L’Hérodiade et la Madeleine dans un même corps et se manifestant à tour de rôle, voilà Kundry. Pour le moment, elle aide le nécromancien sorcier à perpétrer ses maléfices, non plus hideuse et décrépite comme d’abord, mais toute phosphorescente de jeunesse et de beauté surnaturelles : Azucéna transfigurée en Astarté. L’intermède de la séduction se poursuit et s’achève comme dans l’opéra de Meyerbeer. Parsifal-Robert, après s’être un bout de temps laissé enguirlander par les nymphes de la contrée, aperçoit sur un lit de roses Vénus-Kundry, qui l’attire, l’enlace de ses beaux bras nus, et longuement, voluptueusement, imprime sur sa lèvre l’ineffable et mortel baiser de la fascination. Par quelle réaction immédiate ce baiser, qui devait perdre l’âme de Parsifal, la rappelle, au contraire, à la vie, je n’essaierai pas de l’expliquer, l’ayant moi-même très peu compris ; toujours est-il que ce baiser trop amoureux provoque une crise chez le jeune paladin ; son être moral se révolte. Qui le croirait ? Il a suffi de la pression des lèvres d’une jolie femme pour initier ce modèle des chevaliers aux souffrances du roi Amfortas. « La blessure ! s’écrie-t-il, la blessure ! je la sens qui me ronge le cœur. » Vainement Kundry redouble d’efforts ; ce Tanhauser de nouvelle espèce ne demande qu’à s’en aller du Vénusberg ; Klingsor, voyant le danger, a recours aux grands moyens ; il veut brandir la sainte lance ; mais, ô miracle ! la sainte lance lui échappe des mains et commence de planer au-dessus de la tête de Parsifal, qui la saisit au vol, trace dans l’air le signe de la croix, et soudain palais et jardins, tout s’effondre. Où prévalut naguère la puissance de Klingsor, où les roses et les belles filles ont fleuri s’étend la morne solitude. Parsifal quitte ces lieux d’incantation et de désolation et se dirige avec sa lance vers l’infirmerie de son roi comme jadis le