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soit mauvaise, que la nielle se mette dans les champs et la clavelée dans les troupeaux, on dira : C’est la faute de la chambre! Nous sommes ainsi faits qu’il nous faut un bouc émissaire à qui nous imputons tous nos maux. Les conservateurs se tromperaient peut-être s’ils se flattaient que le malaise dont nous souffrons tournera tout d’abord à leur profit. Il se peut que, dans plus d’une élection partielle, des républicains modérés soient remplacés par d’autres de nuance plus foncée. C’est de cette façon que l’électeur, aigri par ses déceptions, se plaît à témoigner son mécontentement et qu’il croit travailler à l’ouvrage de son salut. Le malade que n’a pas guéri la drogue d’un marchand d’orviétan est tenté de s’imaginer que la dose était trop faible; mais s’il ne guérit pas après l’avoir doublée, il se fâche tout de bon et se brouille à jamais avec les empiriques, les charlatans et leurs mensonges.

Les ennemis de la république la déclarent incapable de donner à un grand pays un gouvernement régulier et des institutions stables. La crise que nous venons de traverser a dû les mettre en joie ; ils ont constaté avec bonheur qu’il suffisait d’un placard pour faire perdre la tête à tout le monde, et ils se flattent que, de crise en crise, d’affolement en affolement, la république se trouvera bientôt à bout de forces. Quand le taureau frais et reposé fait son entrée dans l’arène, bien audacieux serait le torero qui engagerait avec lui un combat corps à corps! Mais les banderilleros se chargent de lui procurer des inquiétudes, des émotions, des surprises qui le déconcertent et le démontent. Ils l’enveloppent, le tracassent, le harcèlent, le provoquent par leurs cris et se dérobent à ses poursuites, puis revenant à la charge, ils lui enfoncent dans les chairs leurs flèches ornées de papier de couleur. Et bientôt le taureau entre en fureur, halète, écume, bondit, laboure la terre de ses cornes, s’épuise en vains efforts, se travaille, se surmène. Le torero peut paraître, il aura affaire à une bête recrue de fatigue, mûre pour son destin, et il sera bien maladroit s’il ne lui plonge pas son épée dans la nuque jusqu’à la garde. Quand les républiques perdent tout sang-froid et toute tenue, quand elles se laissent démonter par leurs ennemis, effarer par leurs soupçons, quand elles dépensent follement leurs forces à combattre des fantômes et qu’elles se discréditent par des violences inutiles, par une politique de bonds et de sauts, il n’est pas besoin de la main d’un prince pour en finir avec elles; on peut s’en remettre de ce soin à quelque épée inconnue, qui dormait dans le fourreau et n’avait dit à personne ni son secret ni son nom. Pourvu qu’elle soit amoureuse de son crime et que le Dieu des vengeances l’assiste, cette épée sans nom suffit à sa besogne.

La question des princes et la crise ministérielle qui en est résultée n’ont accru ni au dedans ni au dehors la considération dont jouissait la république. Nous savons bien qu’il s’est trouvé un sénateur pour déclarer