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viendra-t-on nous chercher. » Quelqu’un disait d’eux : « Ils ne prétendent pas, ils attendent. » Ce n’est pas un crime que d’attendre ; la France est pleine de gens occupés d’attendre quelque chose qui peut-être n’arrivera jamais. Mais on a fait grâce au prétendant, et les attendans sont devenus l’objet de toutes les suspicions, de toutes les animosités, de toutes les colères. On ne pouvait leur pardonner ni leur discrétion, ni leur réserve, ni les arrière-pensées qu’on leur supposait, ni les sentimens qu’on leur attribuait et qu’ils n’exprimaient pas, et leur silence a paru plus criminel qu’un placard. « Des hommes qui ont leur nom dans l’histoire, écrivait jadis un publiciste, et qui se lient à tout le passé d’une nation ne sont jamais nuls dans leur patrie. » Il semblait aux affolés que la France ne respirerait librement que le jour où ces hommes qui ne sont pas nuls auraient repassé la frontière. Il y allait du salut public et sans doute aussi du bonheur particulier de quelques ambitieux qui comptaient profiter de cette affaire pour renverser un cabinet et pour attraper un portefeuille.

On a prétendu que, dans les orageux débats qui se sont engagés sur la question des princes, il ne s’est pas dit un mot qui partît du cœur, qu’il n’y avait rien de sincère dans les passions, que la chambre a joué la comédie de la colère et de la peur. Il ne faut pas aller trop loin ; la naïveté a toujours sa part dans les affaires humaines et les naïfs font le jeu des habiles. Parmi les députés qui ont réclamé avec le plus de véhémence des lois de proscription arbitraires, il en est dont la candeur est au-dessus de tout soupçon. Comme en fait foi leur barbe blanchie au service de la république, ils appartiennent à une génération de démagogues qui envisagent tous les princes, quels qu’ils soient, comme des êtres malfaisans et venimeux, et qui n’en peuvent supporter la vue. C’est un effet physique, une question de nerfs et de peau ; n’y a-t-il pas des femmes qui tombent en syncope à l’approche d’une araignée ? Avoir du sang royal dans ses veines, se faire appeler monseigneur et envoyer à ses amis des bourriches de gibier, c’est plus qu’un délit, c’est un forfait qui demande à être réprimé dans la dernière rigueur.

Pourtant ces barbons de la république n’ont pas le cœur dur ; ils s’attendrissent, ils s’apitoient facilement. Ils ont des entrailles de miséricorde pour tel nihiliste qui a massacré des femmes et des enfans dans la louable intention d’assassiner un souverain, pour tel brûleur de maisons ou de villes, pour tel sinistre farceur qui parle d’égorger le bourgeois comme de saigner un poulet. Quand l’un de ces frères égarés a eu maille à partir avec la justice, leurs yeux se remplissent de larmes et on les entend s’écrier : « Grâce et amnistie ! » Mais s’agit-il d’un prince, et ce prince fût-il un homme d’honneur, pur de toute iniquité, un homme de grand mérite, un vrai patriote, aussi capable que désireux de servir son pays, ils ne lui donnent point de quartier.