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vieillard, armé d’une pipe d’argent et d’un bâton qui me furent confiés, tandis qu’il procédait à un minutieux examen.

Dehors, les dignes campagnards qui fréquentaient la maison des bains s’étaient mis à genoux en grand nombre, priant pour celle qu’ils croyaient en danger de mourir.

— Laissez-nous, dit le docteur aux personnes qui se pressaient dans la chambre. Je crois pouvoir répondre que le mal n’est pas grand.

— C’est bien ce que je disais ! cria Peter, en frappant sur sa cuisse. Mais, ajouta-t-il, qu’est-ce qu’elle tient dans la main ? Regardez donc.

L’une des mains de Joanna était, en effet, convulsivement fermée sur une touffe d’herbes écrasées.

— Ce n’est qu’une fleur, dit Mme Hofer en desserrant avec précaution les doigts encore glacés ; une petite fleur violette.

— La campanule de Moretti, fit observer le docteur ; elle a dû la saisir en tombant. Cette plante ne pousse que bien haut sur le rocher.

Un silence profond s’établit qui fut rompu par les sanglots de Nata :

— Ma chérie ! ma pauvre chérie !.. Cette fleur violette… Oh ! signora, vous souvenez-vous ?

Si je me souvenais ! La scène violente dont ce brin d’herbe avait été cause, et les sottises débitées par moi-même à propos de philtres et de magie, mes imprudentes paroles une nuit sur la terrasse, quand cette pauvre fille ignorante avait déjà l’esprit égaré par la superstition autant que par la douleur ! Je rougis de honte malgré moi. Le comte lui aussi semblait troublé ; je l’entendis murmurer entre ses dents : — Que le diable emporte cette fleur infernale ! — Après quoi il sortit de la chambre, mais pour revenir bientôt prendre par la taille Nata, toujours à genoux, le visage caché dans les draps du lit. Il la releva doucement, avec beaucoup de tendresse. À travers ses larmes elle le regardait d’un air à demi inquiet, à demi confiant.

La pauvre Joanna, enfin déshabillée, n’était que contusions sur tout un côté du corps, mais la seule blessure grave se trouvait à la tête, encore son grand chapeau avait-il amorti le coup. Le docteur envoya Peter prendre chez lui des bandages et des médicamens.

Le sang était remonté aux joues de Joanna sous la pluie de larmes qui tombait des yeux de Nata, des larmes plus douces que par le passé, presque heureuses malgré un reste d’angoisse. Les grands yeux bleus s’ouvrirent étonnés :

— Nata ! ici… murmura-t-elle avec un effort pour se soulever qui fut suivi d’un gémissement.