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— Peut-être est-elle montée au Schlern ?

Mais il fut rembarré par son grand-père, qui, entre deux bouffées de tabac, répondit :

— Le Schlern n’est pas fait pour les marmots ni pour les femmes.

Et la journée s’écoula dans un calme parfait sans que l’on entendît autre chose que le bourdonnement en sourdine des causeries de quelques vieux baigneurs qui semblaient avoir élu domicile sur le balcon, et le pas discret de notre hôtesse, et le bruit que faisaient les seaux de métal en s’entre-choquant, tandis que la servante, suivie de sa chèvre apprivoisée, allait du puits à la cuisine et de la cuisine au puits. Cette paix extérieure m’eût été très douce sans le souci qui me poursuivait malgré moi et dont Nata était l’objet. La disparition de sa fidèle compagne avait été pour elle le dernier coup, après les émotions répétées des jours précédens. C’était la goutte qui fait déborder le vase déjà plein. Les larmes, qu’elle n’eût osé verser la veille sur elle-même, coulaient librement aujourd’hui ; elle ne se contenait plus : — Oh ! signora, me dit-elle avec une sorte d’égarement, tout ce temps-ci j’ai fait mes efforts pour ne rien sentir ; j’étais comme une feuille sans volonté que le vent pousse, mais la brave Joanna se tenait à côté de moi, elle me disait : — Courage ! courage ! — Si cette amie véritable doit me manquer à son tour, s’il lui est arrivé malheur, si les bêtes sauvages l’ont dévorée ! .

J’interrompis Nata :

— Écoutez, mon enfant, lui dis-je, vous vous créez des chimères. Il n’y a dans ces bois d’autres bêtes sauvages que les écureuils. Quand Joanna sera de retour, nous la gronderons, comme elle le mérite, pour nous avoir toutes ridiculement effrayées. Asseyez-vous là dans ce grand fauteuil et tâchez de vous reposer en attendant les nouvelles que finiront certainement par nous apporter les messagers de votre tante.

Elle me baisa la main et obéit ; ses pleurs et mes admonestations l’avaient soulagée. La laissant à un demi-sommeil, je pris un livre et j’allai m’asseoir sur le balcon ; mais il me fut impossible de fixer mon attention sur cette lecture. Je regardais Mme Hofer aller et venir au-dessous de moi ; bientôt je vis les enfans qui étaient partis avec Peter accourir d’un air effaré, se jeter dans ses jupes et raconter quelque chose qui lui fit pousser un cri.

— Qu’y a-t-il donc ?.. demandai-je en descendant l’escalier au plus vite.

Déjà Nata me suivait. Elle entendit sa tante répondre : — Un accident est arrivé dans le bois, — et, avant que les enfans eussent rien expliqué, elle comprit qu’il s’agissait de Joanna.

— Elle était couchée au pied du Schlern, dit la petite fille. C’est