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— Ses sœurs sont au désespoir et le croient fou, nous dit la vieille dame de compagnie, mais il n’en est rien. Saverio est modérément heureux à sa manière.


VII.

Nous ne nous doutions pas, en la quittant, que la crise était aussi proche. Comme nous entrions chez les Sarti, de grands éclats de voix partirent de la salle commune : Ah ! signora, s’écria Joanna en se précipitant vers moi, allez-y, allez-y… Vous arrêterez peut-être Mario… Le voilà en train de chercher querelle au comte !

J’ouvris la porte ; ils étaient tous autour d’une table sur laquelle gisait la boîte à herboriser bien connue de tous ceux qui avaient rencontré M. de Pavis, — Mario jetant feu et flamme, Tonina tortillant le coin de son tablier, Nata tout en larmes.

— Pourquoi restez-vous ici pour vous laisser insulter ? criait Mario à ses sœurs. Allez-vous-en. Vous voyez bien que son excellence vous traite de voleuses ! — Et, se tournant vers le comte, qui avait l’air à la fois très hautain et très embarrassé : — Je vous dis, moi, que mes sœurs ne sont pas ce que vous croyez,.. et que je ne souffrirai pas qu’on leur parle comme à des servantes. Ce sont des filles bien nées… Tout le monde les respecte. Vous les respecterez comme les autres.

— Eh ! qui donc attaque vos sœurs ? répliqua le comte, qui se contenait avec peine. Perdez-vous la tête ? ajouta-t-il en chiffonnant une carte qu’il fourra dans la boîte, tandis que de l’autre main il saisissait impétueusement son chapeau. Je réclame un échantillon qui me manque… je suis vexé de le savoir détruit. Il n’est pas question de vol pour cela.

— Vous les respecterez, hurlait Mario, qui voulait absolument pousser la querelle à ses dernières limites, et vous saurez que moi non plus, je ne suis pas de ceux qui endurent les insultes des riches.

— Ce que vous êtes ou ce que vous n’êtes pas m’est parfaitement égal ! riposta son excellence, qui s’emportait à son tour. Allez au diable !

il s’élançait hors de la chambre, quand Joanna éperdue se jeta sur son passage et le saisit par le bras : — C’est ma faute, je suis seule coupable ! criait-elle en sanglotant.

— Silence ! gronda Mario, tandis que le comte secouait assez rudement l’étreinte de la pauvre fille.

Je le vis, de mon balcon, s’éloigner à grandes enjambées selon son habitude, sa boîte de fer-blanc lui battant les reins. Chacun des paysans qui le rencontraient saluait très bas, mais il ne semblait