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d’art serait libre et l’exportation permise, non pas sous la réserve d’un droit de préemption illusoire, mais contre paiement d’une forte taxe fixée à tant pour cent du prix d’achat. Dans le cas d’un contrat fictif ayant pour but de frauder la loi, et en présence d’un objet de valeur considérable, le gouvernement pourrait toujours confisquer l’objet en payant la somme indiquée par les parties. La permission de faire des fouilles ne serait accordée qu’à des gouvernemens ou à des sociétés savantes ; un tiers de la somme totale à laquelle une double expertise évaluerait les découvertes reviendrait de droit à la Turquie. S’il s’agissait de découvertes exceptionnelles, comme celles de Pergame, dont il est impossible de fixer le prix, le gouvernement toucherait une somme minima de 50,000 fr.. En cas de désaccord, il pourrait mettre aux enchères la part qui lui revient et que le fouilleur ne manquerait pas de racheter. Les antiquités disséminées dans les provinces ou saisies en contrebande seraient réunies à Constantinople pour y être vendues aux enchères ; par égard pour les sociétés grecques indigènes qui voudraient les acquérir, une remise de 10 pour 100, par exemple, leur serait faite sur les prix offerts en concurrence avec l’étranger.

La Turquie est si habituée à recevoir des conseils intéressés que le projet dont nous indiquons ici les grandes lignes a peu de chances d’être accueilli par elle. Toutefois, un pays dont les finances sont très obérées a l’obligation de ne pas négliger une source de revenus qu’on lui signale, surtout lorsque ces revenus nouveaux seraient employés à une œuvre aussi utile que la conservation des monumens de l’art national. Nous voulons croire que la Sublime-Porte finira par abroger une législation dont elle est dupe, dont l’art et la civilisation sont victimes. Nous espérons qu’il nous sera permis un jour de voir le kiosk de Mahomet II transformé en un sanctuaire des trésors de l’art musulman. Les antiquités de chaque peuple seront confiées alors aux soins de leurs protecteurs naturels. Nous applaudirons aux efforts des Grecs de Turquie pour former des collections d’art dans leur pays; mais nous n’oublierons pas que la place des œuvres grecques est partout aussi où le génie de l’antique Hellade a façonné des esprits capables de l’aimer et de le comprendre.


SALOMON REINACH.