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gouvernement ottoman n’y mit aucun obstacle. On peut même regretter qu’une liberté excessive ait été laissée par la Porte à lord Elgin, qui dépouillait le Parthénon de ses sculptures en même temps que Stackelberg et ses compagnons enlevaient le fronton d’Égine et la frise du temple de Phigalie. Le sultan Mahmoud céda à la France les frises du temple d’Assos et du temple d’Artémis à Magnésie : Fellows, lord Stratford, MM. Newton et Pullan purent rapporter au Musée britannique les monumens de Lycie, les restes du mausolée d’Halicarnasse, les produits des fouilles de Cnide, des Branchides et de Priène. Les dernières fouilles que l’Angleterre ait faites en Asie-Mineure, celles de M. Wood à Éphèse (1863-1873), ont ajouté aux collections britanniques quelques monumens de premier ordre, acquis au prix de recherches laborieuses dont les frais ont excédé 500,000 francs. Quant à l’Allemagne, elle n’a entrepris des fouilles en Asie que lorsque l’ère des difficultés avec la Porte avait commencé.

Dès la fin du siècle dernier, les fonctionnaires turcs se sont aperçus que les statues des giaours se payaient cher en Europe : elles valaient la peine d’être recueillies. Le terrible Ali, pacha de Janina, est peut-être le premier qui se soit mis à collectionner des antiques. Son exemple a été suivi et s’est généralisé de notre temps[1]. Gênés par la concurrence des amateurs étrangers, les antiquaires turcs excitèrent le gouvernement à des mesures répressives. On confisqua quelques statues qui furent envoyées à Constantinople. Le musée de Stamboul possède une curieuse figure représentant un acteur comique portant un masque, trouvée en 1850 à Guzel-Hissar près de l’emplacement de l’ancienne Tralles. Elle avait été achetée par M. Maxime Du Camp, qui parcourait à cette époque l’Anatolie. Les autorités turques la saisirent, et le voyageur français dut l’abandonner à son mauvais sort[2]. Cette confiscation a son importance dans l’histoire du musée de Stamboul, car le marbre de M. Maxime Du Camp est la première statue de l’Asie-Mineure qui ait été transportée au musée d’alors, l’arsenal de Sainte-Irène.

Les Grecs sujets de la Turquie ne voyaient pas sans colère, depuis le commencement du siècle surtout, les richesses archéologiques de l’Orient tomber au pouvoir des gouvernemens de l’Europe. Ils savaient bien, et ils savent encore, qu’en les laissant en place on les

  1. On est très étonné, en Turquie, de voir des fonctionnaires de tout ordre, ministres, pachas, chefs de police, préfets et sous-préfets, rassembler avec ardeur des monnaies et d’autres antiquités. La collection de Cabouli-pacha était célèbre : celle que Soubhi-pacha a vendue récemment était plus riche encore.
  2. Elle a été gravée d’après un moulage dans le premier volume du Dictionnaire de l’académie des beaux-arts, pl. XXXII. L’original est au musée de Tchinly-Kiosk (n° 36 de notre Catalogue du musée impérial, 1882).