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si une nouvelle Venus de Milo venait à sortir de terre, le gouvernement grec l’acquerrait pour 30,000 drachmes alors même qu’un gouvernement étranger en aurait offert une somme dix fois plus forte. D’ailleurs le temps n’est plus où la Grèce pouvait craindre de voir la plus belle partie de ses richesses d’art passer de la main de particuliers dans les collections étrangères. Tout ce que ces collections renfermaient de vraiment précieux est depuis longtemps sorti du pays, malgré les règlemens prohibitifs. Les vrais trésors de l’art grec sont dans les musées d’Athènes, d’Olympie et de Myconos, ou attendent sous terre la pioche du fouilleur. Eleusis et Épidaure ont déjà livré et livreront encore bien des monumens précieux. Mais le gouvernement et la Société archéologique ne peuvent pas tout faire, et la Grèce n’a qu’à le vouloir pour s’enrichir sans rien dépenser. Il lui suffit pour cela, non pas même de faire appel, mais simplement de ne pas mettre obstacle au dévoûment des savans de l’Europe, qui sont prêts à donner leur argent, leur temps, leur savoir, au besoin leur santé et leur vie pour accroître, par des fouilles dispendieuses, le patrimoine de la science en même temps que celui de la Grèce. Un pays qui s’obstinerait à refuser des services désintéressés pour entretenir chez lui un état de choses funeste attesterait clairement sa décadence morale et se condamnerait aux sévérités de l’histoire. La Grèce a trop de patriotisme et d’intelligence pour ne pas entrer dans une voie nouvelle, pour ne pas agir de sorte que ses ruines du moins demeurent entières. La conservation des antiquités, l’entretien des monumens historiques, est pour beaucoup de peuples une question de curiosité et de goût : pour la Grèce, c’est une question nationale. Comme la Minerve Promachos de l’Acropole fit autrefois reculer Alaric, c’est encore aujourd’hui, c’était encore hier, le prestige des arts de la Grèce et l’imposant spectacle de son passé qui sont la protection de sa faiblesse et la garantie de son indépendance.


IV.

Lorsque les Turcs occupèrent l’empire d’Orient, l’œuvre de destruction des monumens antiques était aux trois quarts achevée. Les Sarrasins, les croisés, les Vénitiens, les Génois, les guerres continuelles de l’époque byzantine avaient couvert le monde grec de décombres ou fait disparaître les ruines elles-mêmes. Les Turcs, qui ne sont ni intolérans ni enclins au vandalisme, n’ont pas détruit, — il faut leur rendre cette justice, — un seul monument célèbre. Ce sont les chevaliers de Rhodes, en 1552, qui démolirent le mausolée d’Halicarnasse ; c’est Morosini qui fit sauter le Parthénon en 1687. Le temple d’Artémis à Éphèse avait déjà été exploité comme carrière