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mais recueillis avec soin comme des objets de valeur. Ils ont inspiré, à leur manière, le respect de l’art aux esprits les plus grossiers. Leur tort est d’avoir substitué au vandalisme de l’ignorance le vandalisme de la cupidité. Mais ce tort, en vérité, retombe sur la loi détestable qui oblige le commerce des antiquités à s’entourer de mystère. Si cela ne dépendait que d’eux, ils aimeraient mieux trouver des objets intacts que des objets mutilés. Ils font leur métier de marchands : c’est le législateur qui a mal compris ses devoirs.

A côté des marchands qui font remuer le sol un peu partout, il y a les propriétaires de terrains qui plantent des vignes, ou qui font semblant d’en planter, pour fouiller à leur aise sans que le gouvernement s’en aperçoive. Si la loi de 1834 n’existait pas, ils pourraient admettre des archéologues à diriger leurs fouilles ; mais ils ont toute raison de les tenir à l’écart. Dans une partie de l’Attique que je ne désignerai pas, il existe un petit domaine où des trouvailles importantes ont été faites dans ces derniers temps. Un savant étranger, informé de ces découvertes, se rendit il y a deux ans dans la localité en question et demanda naïvement au propriétaire le droit d’y entreprendre des fouilles avec l’autorisation du gouvernement. Le propriétaire jura qu’on n’avait jamais rien trouvé chez lui et mit notre archéologue à la porte. Il est naturel qu’il aimât mieux poursuivre ses fouilles clandestines, dont les produits lui appartenaient tout entiers, que d’attirer chez lui un commissaire officiel qui ne lui aurait laissé que la moitié de ses découvertes. Une fois catalogué par un délégué de l’éphorie, le reste de sa collection serait devenu difficile à vendre et très dangereux à exporter. C’est par la même raison qu’un travail de haute importance, l’inventaire des richesses d’art qui existent dans les collections particulières de la Grèce, n’a pu encore et ne peut pas être entrepris ; aucun possesseur d’antiquités ne tient à se placer sous la surveillance de l’éphorie et à exposer sa collection à des vérifications importunes qui permettraient de le surprendre en flagrant délit d’exportation[1].

Comme les grandes fortunes sont rares en Grèce et que les musées y paient fort mal, la plupart des objets de prix que l’on découvre prennent tôt ou tard le chemin de l’Europe. On sait si bien que la loi est impuissante à empêcher l’exportation, si ce n’est celle de très grandes statues, que diverses sociétés, comme celle des Philarchaioi et la Société archéologique, ont organisé des loteries pour racheter des œuvres d’art et en faire don aux musées d’Athènes. Ces sociétés ont fait preuve d’intelligence en comprenant que l’appât du gain ne peut être combattu par des lois prohibitives, mais seulement par un appât plus puissant de même nature. Celui qui envoie

  1. L’amende fixée par la loi pour ce délit est égale à la valeur des objets exportés.