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entendu? Mais, en vérité, on ne peut guère prendre au sérieux des gens qui vous disent que « les ossemens de leurs ancêtres ne doivent pas être déterrés par des barbares ! » Ceux qui parlent ou pensent ainsi oublient que la Grèce a été sauvée par l’Europe en considération de son passé, parce que l’Europe voyait dans ce passé non pas le patrimoine exclusif d’un petit peuple, mais le patrimoine commun de tous ceux qui aiment le beau. L’opposition qui a été faite aux projets de l’Allemagne, et qui s’est reproduite récemment lorsque la France a demandé l’autorisation d’explorer les ruines de Delphes a pour cause la propagande déplorable d’un certain nombre d’esprits étroits, infectés de ce vice qui coexiste en Grèce avec les vertus de l’hospitalité : la défiance et la jalousie à l’égard de l’étranger. Peu importe à ces misoxènes, — c’est le nom qu’on leur donne couramment à Athènes, — que la science fasse des progrès ou reste stationnaire, que les musées s’accroissent ou soient livrés au pillage : ce qu’ils demandent avant tout, c’est qu’un étranger ne puisse pas entreprendre, même au profit exclusif de la Grèce, ce qu’elle est incapable de faire elle-même. C’est la généralisation de la même idée qui inspirait, il y a cinquante ars, la loi funeste contre les hétérochtones, c’est-à-dire les Hellènes nés hors de la Grèce. La Société archéologique d’Athènes s’est montrée animée de cet esprit antiscientifique et mesquin, au grand déplaisir de ses amis et de ses admirateurs, qui l’ont vue compromettre, par une politique de malveillance et d’envie, la haute réputation d’impartialité, de dévoûment sans arrière-pensée à la science qu’elle avait su acquérir en Europe. Il est profondément à regretter que l’homme supérieur qui dirige depuis plus d’un an les destinées de la Grèce, M. Tricoupis, ait paru épouser ces passions que les Grecs éclairés désavouent hautement. Malgré un engagement formel de son prédécesseur, M. Coumoundouros, il a refusé d’appuyer auprès de la Chambre le projet de loi autorisant la France à fouiller Delphes, travail considérable qu’un état européen est seul en mesure de mener à borne fin. Nous voulons espérer que la conscience des véritables intérêts de son pays l’emportera enfin, dans un esprit aussi juste, sur des conseils doublement coupables, parce que la Grèce et la science souffrent également de leurs effets[1].

Nous avons parlé des fouilles de M. Schliemann à Mycènes; il est à vrai dire le seul particulier qui ait fait, au vu et au su du gouvernement grec, une exploration archéologique sérieuse. Mais s’il fallait

  1. Lors de la discussion de la convention avec l’Allemagne, le 4 novembre 1875 quelques députés ont développé avec éloquence la thèse indiquée par le bon sens. Le discours de M. Diamantopulos, rapporteur de la commission, devrait être médité de ceux qui combattent avec une passion si obstinée la convention relative aux fouilles de Delphes.