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une injustice aussi grande que le mot de vandalisme lui-même, qui paraît imputer aux Vandales une part prépondérante dans l’œuvre de destruction à laquelle tous les peuples du moyen âge ont pris part. La preuve que le christianisme triomphant n’a pas détruit systématiquement les œuvres d’art, c’est qu’on n’a jamais cessé de les recueillir et de les conserver à Constantinople[1]. Le fanatisme est étranger aux accidens divers qui en firent périr un grand nombre avant même la quatrième croisade. Les Latins, en 1204, ne pensaient non plus faire œuvre pie en jetant dans les flammes des Vénus et des Hercules : ils voulaient simplement battre monnaie. Ce n’est que par exception que les destructeurs, qu’ils fussent orthodoxes, schismatiques ou musulmans, ont obéi à une idée religieuse. L’ignorance et la cupidité, tels ont été partout, tels sont encore, les mobiles du vandalisme. On avait besoin de chaux : on jetait les marbres dans des fours; on avait besoin de monnaie : on faisait fondre les bronzes. Bélisaire, le vainqueur des Vandales, assiégé dans le château Saint-Ange en 537, manquait de projectiles : il précipita sur les Goths les chefs-d’œuvre qui couronnaient le mausolée d’Hadrien, et l’on sait que l’une de ces statues, le célèbre Faune de Munich, a été retrouvée sous Urbain VIII dans les fossés du château. Ce n’est pas seulement au moyen âge, mais à toutes les époques de l’histoire, que les guerres et les révolutions, avec les misères qu’elles entraînent, ont été funestes aux œuvres d’art. Il faudrait s’estimer heureux si les habitudes de destruction que prennent les hommes à certaines époques ne survivaient pas aux besoins qui les ont fait naître, si le vandalisme du moyen âge avait cessé ses ravages dans les temps modernes. Il n’en est rien, malheureusement; la race des Vandales n’est plus qu’un souvenir, mais le vandalisme n’a pas disparu comme elle. Lorsque le Panthéon fut défiguré par un pape du XVIIe siècle, on répétait dans Rome que les Barberini avaient osé ce que n’avaient point fait les barbares : c’est là un blâme que l’Italie moderne ne mérite pas, mais que l’on pourrait, dans une grande mesure, appliquer à la Turquie et à la Grèce contemporaines. Déterminer les causes qui, aujourd’hui encore, livrent à la ruine ou à la mutilation les restes de l’art antique dans l’Orient grec, diminuant ainsi chaque année le patrimoine commun de monumens qu’a épargnés le moyen âge, tel est le sujet que nous nous

  1. On peut voir à ce sujet deux dissertations de C.-G. Heyne, dans les Mémoires de l’académie de Goettingue, t. XI, p. 3 et t. XII, p. 373.