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leurs défenseurs. En fait de férocité, il pouvait rivaliser avec le cardinal Ruffo, qui fut son adversaire et le chassa de la Ponille; mais c’était un homme d’une incomparable vaillance et sa mort fut très belle. Poursuivi par les bandes infiniment supérieures de l’armée de la Sainte-Foi, il s’enferma dans Pescara, et la famine le contraignit d’y capituler. La convention, régulièrement signée, portait qu’il pourrait se retirer librement avec ses soldats. Au mépris de la parole donnée, le cardinal Ruffo le fit arrêter et enfermer dans la prison de Château-Neuf de Naples. Là les juges-bourreaux de la reine Caroline, après la rentrée de la cour, le condamnèrent à être décapité. Montant d’un pas ferme et d’un air serein les marches de l’échafaud, il réclama et obtint d’être couché sur le dos sur la planche de la guillotine, le visage tourné vers le couteau : « Moi, noble et descendant des preux, dit-il, quand je meurs pour la liberté de ma patrie, je veux voir en face l’instrument de supplice devant lequel tremblent les lâches. »

A mi-chemin entre Lucera et San-Severo sont les ruines insignifiantes de Castel-Fiorentino, le château de plaisance où Frédéric II mourut, le 13 décembre 1250. Découragé par les échecs que sa cause avait subis en Allemagne et dans le nord de l’Italie, et surtout par la nouvelle de la captivité de son fils Enzio, affaibli par la maladie, sentant fléchir l’énergie indomptable qui jusqu’alors l’avait soutenu dans les plus grandes épreuves, entrevoyant partout autour de lui la trahison. prête à se manifester au jour, il voulait s’enfermer dans la forteresse de Lucera, au milieu de ses fidèles Sarrasins. En arrivant à Castel-Fiorentino, son état devint tel qu’il dut s’y arrêter. Le nom du lieu, en lui rappelant une prédiction de ses astrologues, excita chez lui de sinistres pressentimens. « Vous mourrez, lui avait-on dit, près de la porte de fer, dans un lieu dont le nom sera formé du mot fleur. » Comme dans la chambre royale le lit masquait une ancienne ouverture depuis longtemps condamnée et qui pouvait donner accès dans une tour voisine, il la fit percer et elle se trouva garnie d’une porte de fer. « Mon Dieu, dit alors Frédéric, si je dois ici vous rendre mon âme, que votre volonté s’accomplisse! » Puis, avec un calme parfait, il appela près de lui Berardo, archevêque de Palerme, qui depuis trente ans, malgré les anathèmes pontificaux, lui gardait une fidélité à toute épreuve; Berthold, marquis de Hohenburg, le chef des troupes allemandes et son parent ; Riccardo di Montenegro, grand justicier du royaume; le Calabrais Pietro Ruffo, qu’il avait élevé d’un rang obscur à la dignité de maréchal ; enfin Giovanni da Procida, son ami et son médecin, le même qui devait être plus tard l’âme de la conjuration des Vêpres siciliennes. En leur présence, il dicta son testament au notaire Nicolao da Bari.