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premières guerres civiles ; les tessons de vases peints à figures rouges de fabrication grecque l’âge où l’influence des cités helléniques voisines avait pénétré l’Apulie et y régnait en maîtresse, du milieu du Ve siècle avant notre ère au milieu du IIIe. Ce qui est plus intéressant, c’est qu’on y rencontre en abondance des débris céramiques d’un âge antérieur, qui nous reportent aux temps où la Luceria primitive était encore aux mains des indigènes apuliens. Ce sont les fragmens d’une poterie noirâtre sans vernis, colorée uniformément dans la masse de la pâte et sans couverte, simplement lustrée au polissoir, telle qu’on la rencontre aux origines de la civilisation dans toutes les parties de l’Italie. La présence de cet ancien bucchero italique n’avait pas été jusqu’ici signalée en Apulie. J’en ai observé des fragmens sur tous les emplacemens de villes antiques que j’ai examinés dans cette contrée, comme aussi dans la Lucanie et dans le Bruttium. La fabrication s’en est donc étendue à une certaine époque, avant le triomphe des influences grecques, sur la totalité de la Péninsule, sans différences bien sensibles de contrée à contrée.

Dans la ville de Lucera, le seul monument important est la cathédrale, magnifique église à trois nefs du plus pur style ogival français du XIIIe siècle. C’est un des édifices religieux les plus remarquables de l’époque médiévale dans le midi de l’Italie. Pour quiconque l’étudié avec une connaissance quelque peu approfondie des monumens du même art en France, deux conclusions s’imposent à l’esprit. Cette cathédrale, bien que consacrée seulement en 1302, n’a pu être commencée en 1300 par Charles II, comme on l’imprime. D’après son architecture, on ne saurait en faire commencer les travaux plus tard que 1274, date de l’établissement des colons provençaux dans la ville. D’autre part, l’architecte de cette église a été Français et même, suivant toutes les probabilités, natif de l’Ile-de-France, dont il a transporté l’art sans modification dans la Pouille. En revanche, ce sont des tailleurs de pierre indigènes qu’il a employés à en exécuter la décoration. La chose est surtout manifeste au portail principal. Les feuillages finement refouillés d’un beau et ferme dessin qui garnissent l’archivolte de son arc en tiers-point ont la plus étroite parenté avec ceux de l’archivolte de l’arc en plein cintre du palais de Frédéric II à Foggia. Les quatorze magnifiques colonnes de marbre vert antique, que l’architecte a distribuées dans diverses parties de son œuvre, devaient garnir la nef de la cathédrale plus ancienne, celle dont les Sarrasins avaient fait une mosquée.

Le gouvernement italien a entrepris dans ces dernières années une restauration complète de la cathédrale de Lucera, travail très bien conduit et aujourd’hui près d’être terminé. En grattant le badigeon qui revêtait l’intérieur de l’église, on a mis au jour sur plusieurs points d’intéressantes fresques du XIVe siècle, entre autres