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1271 par Charles d’Anjou après le siège où il avait dû être l’objectif de l’attaque. C’est ce qu’attestait une inscription que copia Leandro Alberti et qui a disparu depuis.

De nombreux édifices remplissaient l’enceinte de la forteresse au temps où elle était occupée par les Sarrasins ; il y avait des habitations, des casernes, des mosquées et aussi l’église des franciscains. Toutes ces constructions ont depuis longtemps disparu sans laisser de traces apparentes. La chemise fortifiée n’enveloppe plus qu’un terrain vide et désert.

Le sol y est partout jonché de débris de briques et de fragmens de vases de formes diverses et d’une fabrication tout à fait spéciale, dont la terre plus ou moins rouge est recouverte d’un épais vernis plombifère. Ce vernis, appliqué à la manière arabe, et qui souvent, trait caractéristique, a coulé de manière à former de grosses gouttes vitrifiées en relief, est le plus habituellement vert, quelquefois avec des dessins noirs se détachant sur ce fond. Nous sommes ici en présence des vestiges d’une poterie exactement pareille aux fragmens de fabrication arabe du IXe et du Xe siècle recueillis jadis par mon père en Égypte et conservés au musée céramique de la manufacture de Sèvres, ainsi qu’aux bacini incrustés à titre d’ornementation à la partie supérieure des murailles extérieures d’un certain nombre d’églises du nord et du centre de l’Italie construites du Xe au XIIIe siècle. Elle constitue une industrie d’origine évidemment orientale, qu’on ne saurait hésiter à considérer comme ayant été exercée sur les lieux dans le cours du XIIIe siècle, car la multitude des débris ne permet pas de douter que ce fut là la vaisselle d’usage journalier dans la colonie arabe de Lucera. J’ai déjà dit que cette colonie compta un moment jusqu’à soixante mille âmes avec les familles des guerriers. On sait par des documens formels qu’en même temps qu’elle fournissait un service militaire des plus actifs, elle s’adonnait avec succès à des industries de tradition orientale, dont les procédés avaient été apportés de Sicile, comme le tissage de certaines étoffes et la fabrication des armes. Il faudra joindre maintenant à la liste de ces industries celle de la confection des poteries vernissées conformément aux anciens prototypes arabes.

Nous sommes conduits à désigner avec certitude la Sicile musulmane comme une étape du transport de la fabrication de ce genre de poteries entre l’Orient et la Pouille, où elle passa avec la transplantation des Arabes sous Frédéric II. Ceci est de nature à jeter un jour précieux sur l’origine des bacini employés dans la décoration des églises par les architectes italiens, surtout dans le XIe siècle. On les a d’abord regardés comme de provenance arabe ou persane, comme des trophées des expéditions maritimes des Pisans. Mais